Molotov, révolution (bien mineure pour l’instant) de la télévision.
Lancé le 11 juillet 2016, Molotov promet de belles choses mais la révolution qu’il incarne nécessite encore un peu de maturation.
Lancé le 11 juillet 2016, Molotov promet de belles choses mais la révolution qu’il incarne nécessite encore un peu de maturation.
EDIT 7 décembre 2016 : Molotov a enfin mis en place la gestion des bookmarks et la disponibilité Chromecast. Les limitations précisées dans cet article ne sont plus d’actualité et c’est tant mieux. La révolution est désormais là.
Imaginez une interface à la Netflix permettant de naviguer parmi tous les programmes diffusés à la télévision, de les regarder en direct ou en replay, loin des interfaces foireuses des box TV, loin des players maison de chaque chaine. N’imaginez plus, c’est exactement ce que propose Molotov.tv.
Une interface au poil.
Deux semaines après son lancement sur ordinateur (via une application Windows, Mac et Linux) et sur iPad et Apple TV, un premier constat s’impose : l’interface est réussie. La navigation est aisée parmi les chaines et les programmes. On accède au replay ou au direct à l’envie et l’ensemble tourne bien, même si on se contente pour l’instant de regarder sur l’écran d’ordinateur quand on ne dispose pas d’une Apple TV. La promesse initiale est tenue de ce point de vue-là et il est difficile de revenir à l’antique interface des box après cela, même avec la limitation évoquée ci-dessus.
Pourtant, au-delà de cette excellente première impression, Molotov est un peu court sur les fonctionnalités annoncées.
Des différences entre les chaines.
Molotov veut révolutionner l’usage que l’on fait de la TV, mais encore faut-il que les chaines TV jouent le jeu. A l’heure actuelle, c’est encore loin d’être le cas. Que ce soit pour le direct, le replay d’émissions ou le start-over (reprendre une émission en cours depuis le début), il y a encore de grandes disparités entre elles.
Ainsi, les chaines des groupe C+, TF1 et M6 n’autorisent pas le replay mais elles autorisent le direct. Le start-over est présent sur les chaines publiques et sur certaines autres chaines dont celles du groupe C+. Pour l’instant donc, Molotov fait moins bien que n’importe quel décodeur TNT associé à une bonne vieille TV. Et c’est encore pire quand on s’intéresse au bookmarking.
Le bookmarking aux abonnés absents.
Le bookmarking de Molotov permettra normalement à terme de sélectionner des programmes, films et séries diffusés pour les enregistrer dans un espace en ligne attitré. Plus qu’une simple fonctionnalité, c’est bien sur le bookmarking que Molotov a élaboré son business model puisque l’abonnement à 3,99€/mois permet l’enregistrement de 100 heures de programmes diffusés sur des chaines gratuites (ou 9,99€/mois pour 100 heures de programmes enregistrés sur des chaines payantes et gratuites — 70 pour l’instant).
Or, au 21 juillet, cette fonctionnalité n’est toujours pas implémentée. Elle le sera bientôt, promet-on du côté de Molotov mais c’est quand même dommage d’avoir lancé l’application sans cette fonctionnalité-phare, qui est vraiment la killer feature qui pourrait me faire m’abonner au service au-delà des 10 heures de bookmarking présentes dans l’abonnement gratuit de base. Pour l’instant, un avertissement s’affiche, rejetant la faute de ce délai sur l’application de la loi Création votée fin juin.
Or, comme le rappelait NextInPact dans un article récemment, la loi Création est déjà entrée en vigueur. Ce retard pourrait s’expliquer par des tensions entre Molotov et les chaines TV sur cette fonctionnalité d’enregistrement dans le cloud. Il faut dire que les chaines TV ont toutes les raisons du monde de ne pas aimer cette fonctionnalité et il est encore trop tôt pour dire si oui ou non le bookmarking sera bien implémenté au final et de façon durable, surtout si les ayants-droits y trouvent quelque chose à redire (ce qu’on imagine sans peine).
Le vrai obstacle : la programmation des chaines TV elles-mêmes.
J’utilise Molotov depuis deux semaines donc et si je trouve au système des atouts considérables, même avec ses fonctionnalités manquantes, il en va autrement sur un aspect sur lequel même Molotov n’y peut rien, à savoir les programmes diffusés par les chaines TV elles-mêmes.
C’est le nerf de la guerre. La fonction bookmarking est géniale mais encore faut-il avoir des programmes assez intéressants à enregistrer dans le Cloud. Si je ne me fais pas de soucis pour l’offre de documentaires, d’émissions d’actualité, de sport, d’émissions de télé-réalité en tous genres, je suis beaucoup plus circonspect sur les films et les séries. Rappelez-vous, c’était l’un des arguments anti-Netflix en septembre2014 : “Pourquoi s’abonner à Netflix quand les chaines TV gratuites diffusent autant de films gratuitement chaque semaine ?”. Même lors du lancement dans un article du Monde, Jean-David Blanc, un des créateurs de Molotov, assurait la chose suivante :
« Nous sommes moins concurrents des boxes des fournisseurs d’accès que de Netflix. En France, Netflix peut acheter 100 à 150 millions d’euros de droits de films et de séries par an. Molotov propose l’accès à la richesse des programmes en clair, qui représentent 3 milliards d’euros d’investissement par an… »
Cette comparaison avec Netflix n’a pas lieu d’être pour deux raisons : la première est que les deux systèmes sont complémentaires plus que concurrents et la seconde est que le catalogue films/séries de Molotov est tout simplement risible comparé à celui de Netflix France parce qu’il est basé sur la programmation des chaines TV/TNT françaises. Si bien que l’on se demande même la part des 3 milliards d’euros d’investissement par an réellement dédiés aux films et aux séries sur les chaines TV gratuites.
Voici quelques exemples de films “disponibles” sur Molotov (visibles uniquement en direct, la fonction bookmarking n’étant pas encore implémentée) pour la période du 21 juillet au 4 août :
Ce sont au total 268 films qui seront disponibles sur les chaines proposées par Molotov. La plupart sont inconnus ? C’est normal. Le problème est que Molotov compte dans ce nombre aussi (et surtout) des téléfilms et pas seulement des films de cinéma. Ainsi, parmi ces 268 “films”, un peu plus de cent ont eu droit à une sortie au cinéma, le reste n’étant que des téléfilms comme les chaines de la TNT en diffusent des dizaines par semaine. Pas de quoi concurrencer Netflix et ses 1300 films disponibles ou même n’importe quel service SVOD disponible en France actuellement. Mais ce n’est pas la faute de Molotov qui ne fait qu’agréger les contenus des différentes chaines.
Du côté des séries, Molotov en agrège 111 différentes pour la période du 21 juillet au 4 août. Un chiffre honorable, dans les mêmes eaux que Canalplay mais loin tout de même des 200 proposées par Netflix. Là encore, Molotov se frotte à deux obstacles mis en travers de son chemin par les chaines TV : le fait qu’elles diffusent n’importe comment leurs séries et la durée du replay limitée à 7 jours. Vous avez envie de découvrir “Cold Case” qui passe actuellement sur France 4 ? C’est possible, mais à condition de commencer par la saison 4, puisque c’est là qu’en est rendu France 4 dans sa diffusion.
Impossible de commencer par le premier épisode de la première saison pour suivre la série depuis le début. Impossible aussi de commencer même par le premier épisode de la saison 4, France 4 ne proposant pas de replay pour les épisodes de cette série. Ces limites conditionneront forcément l’utilisation de Molotov à quelques usages bien spécifiques (des mini-séries, des nouvelles séries ou des séries n’ayant pas besoin d’être vues dans un ordre spécifique etc.), des usages qui semblent bien limités par rapport à l’expérience procurée par Netflix dans ce domaine. Envie de binge-watcher une saison complète sur Molotov ? Vous devrez auparavant patienter et bookmarker chaque épisode de la saison lors de sa diffusion télé sur plusieurs semaines pour le faire.
Une révolution en devenir mais mineure pour l’instant.
En ce qui concerne les films et les séries, Molotov ne devient à mon sens intéressant qu’avec les 70 chaines de l’abonnement Extended à 9,99€/mois et uniquement une fois la fonction “Bookmarking” activée. En effet, on passe ainsi à 200 séries et 877 films disponibles (du 21 juillet au 4 août), toujours avec les limitations évoquées ci-dessus (saisons incomplètes, téléfilms etc.). Il faut aussi accorder aux chaines TV que la saison estivale n’est traditionnellement pas la saison pendant laquelle elles proposent une programmation inédite et de qualité et il est probable que l’offre s’améliore à la rentrée.
A terme, avec l’abonnement Extended et la fonction “Bookmarking” disponible, je me vois bien naviguer dans les sections et programmer les enregistrements de tel ou tel film d’un seul clic, pour me constituer une petite bibliothèque de films à regarder à l’envie une fois la diffusion passée sur une chaine. C’est une belle perspective, complémentaire (et non concurrente) à l’offre disponible tout de suite sur Netflix par exemple. Cela reste aussi une perspective lointaine pour l’instant, tant que la fonction “Bookmarking” ne sera pas activée.
Pour autant, l’offre présente sur Molotov sera toujours limitée par les choix de programmations et les processus de diffusion linéaires et limités dans le temps des chaines TV qu’il propose. Molotov n’est qu’un agrégateur. Bien pensé, bien conçu, prometteur mais un agrégateur quand même, sans contenu exclusif, soumis aux desiderata des chaines TV. En ça, c’est aussi et surtout à l’heure actuelle un révélateur de l’offre affligeante de films et séries proposés par les chaines TV françaises. Tout révolutionnaire qu’il veut être, il n’y a pas grand chose que Molotov puisse faire contre ça.
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