La question des droits d'auteur payés par Netflix à la SACD en France.
Un sujet confidentiel mais sur lequel on a eu quelques chiffres supplémentaires ce week-end.
Update from August 25th 2023 : Since my article has been picked up by American writers during the WGA strike, here’s a basic explainer on the French residuals system for authors :
In 2014, prior to its arrival in France, Netflix signed an agreement with the SACD (It is like the French Author’s Guild to sum it up badly but it’s a bit more complicated than that) about residuals for screenwriters and directors (they are considered authors in France) of French films and series being watched in France, Luxembourg and in French-speaking Belgium.
This is not required by law. It’s an agreement. At the time Netflix signed it, it was a show of good faith towards the French cinema industry which was very worried about Netflix.
Authors sign a non-disclosure agreement when they sign up to the SACD but some numbers have leaked as I show in my article in French.
Amazon Prime Video and Disney+ signed this agreement too (in 2021 and 2021 respectively) and they do share every quarter their “click” numbers with the SACD.
We have no precise list of all the other streamers which signed this agreement. I’ve asked the SACD many times but they did not answer on the record. Warner Bros Discovery had some talks with the SACD when they wanted to launch HBO Max in France but since its international rollout was stopped/pushed back, we have no more info.
Now, what’s being shared by those streamers? It’s simple enough : it’s the number of clicks (not minutes viewed or hours viewed, or completers, just clicks) that launch French films and series, happening in France, Luxembourg and French-speaking Belgium during a specific quarter on the different streaming services.
For each click, there’s a residual amount that’s being paid by the streamer to the SACD, which in turns gives the money back to the director and the screenwriter(s). Usually, the director gets 50% and the screenwriters share the rest if they are more than 1. If a director also has a screenwriting credit, he/she gets 50% + whatever screenwriting percentage left.
Depending on the type of the title (licensed or original, series or films), residuals can be different. It’s also different on the amount of clicks. A French streaming original title with 5 million clicks will not have the same residual than a French acquired catalog title with 1 million clicks. The scale for the residuals is not public and I only know some of it, not most of it, so I can’t really comment on that but it seems super specific with a lot of different criteria.
When they receive their residuals amount every quarter, authors and directors get a written review and they know exactly how many clicks on their work happened during a specific quarter, on which service these clicks happened and how much money they get from each one. That’s very transparent to the creators and directors (but it’s also protected by a NDA theoretically). I show an example of the review below.
I can’t comment specifically but for some popular French titles, my understanding is that the residuals paid by the streamers are sometimes higher than their payckeck on the film or the series.
This agreement does not include viewing happening outside of France, Luxembourg and French-speaking Belgium.
Hope that helps and if you have more questions, feel free to write to me on X/Twitter and don’t hesitate to subscribe to my newsletter to have more insights on streaming numbers ! I release every week free analyses on viewing numbers shared by Netflix, Nielsen, other sources and SambaTV. It’s in French but the graphs are in English! My latest one can be read here.
Le saviez-vous ? En septembre 2014, juste avant son lancement en France, Netflix a signé un contrat avec la SACD (la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques) pour permettre le paiement des droits d’auteur sur les programmes français visionnés en France, au Luxembourg et en Belgique francophone. Cela veut dire que la SACD reçoit, tous les 3 mois désormais, le nombre de visionnages des programmes français (dont les auteurs sont sociétaires de la SACD) sur Netflix de la part du streamer puis les communique à ses auteurs pour le paiement des droits. Vous avez un article dans ce mag de la SACD d’automne 2019 si vous voulez en savoir plus.
Cet accord comprend une clause de confidentialité qui s’applique aussi normalement aux auteurs, les empêchant de les partager sur Twitter par exemple. D’où ce tweet très intéressant (parce qu’enfreignant cette règle) de Victor Saint Macary, crédité de co-scénariste sur “Le Brio” et qui révèle que son film a été vu 549 fois sur Netflix entre le 1er janvier et le 31 mars 2022 pour un total de 46€ de droits d’auteur.
“Que 549 visionnages ?”
Il y a eu plusieurs réactions à la suite de ce tweet devenu viral (avant d’être effacé). La première fut de dire “Ah, vous voyez ! 549 visionnages en 3 mois d’un film qui a fait plus d’un million d’entrées au cinéma, c’est bien la preuve que Netflix est l’endroit où vont les films pour mourir (et ne pas être vus).” La réalité est un peu plus compliquée puisque “Le Brio” est sorti sur Netflix en France le 1er avril 2022 donc techniquement, il n’était pas sur Netflix sur la période indiquée sur le relevé.
J’ai une hypothèse qui me semble exacte à ce sujet : le film est sorti sur Netflix France à minuit le 1er avril 2022. Or, on était encore le 31 mars aux US et notamment dans les QGs de Netflix, pendant encore 9h. (C’est pour cela que les Originals de Netflix sortent à 9h en France, qui équivaut à minuit en Californie). Et pendant ces 9h, entre minuit et 9h du matin, c’est là qu’interviennent ces 549 visionnages en France. Quand Netflix fournit les chiffres à la SACD, je suis quasiment certain que ces chiffres proviennent de Netflix US, relayés par Netflix France. Donc on passe de “549 visionnages en 3 mois !” à plutôt “549 visionnages sur les 9h sans doute les moins actives sur Netflix France d’un film qui vient à peine d’arriver sur le service”.
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Un visionnage correspond à un clic sur l’image d’un film ou d’une série et comme ces chiffres viennent de Netflix, cela veut dire qu’ils communiquent à la SACD une mesure d’audience sur des territoires spécifiques qu’ils ne communiquent avec personne d’autre ce qui fait de cet accord un accord assez unique au monde.
A ce jour, la SACD a un tel accord SVOD avec Disney+ (signé en 2021 et rétroactif), Salto, Amazon Prime Vidéo (signé en janvier 2021 et appliqué rétroactivement depuis 2016 et qui serait expiré, en train d’être renégocié). Dans son rapport d’activité 2021, la SACD mentionnait aussi être en contact préliminaire avec HBO Max avant son lancement en 2023 (RIP petit ange HBO Max). Pour les autres streamers plus confidentiels (les Mubi et consorts), nous n’avons pas d’infos spécifiques et c’est dommage.
“Que 46€ ?”
L’autre réaction à la suite de la publication du tweet fut de dire que le montant est vraiment dérisoire. Expliquons un peu le reste du relevé. En général, le réalisateur obtient 50% des droits d’auteur sur un film et le reste se partage entre les auteurs et scénaristes. (C’est très schématique, hein). On le voit sur le relevé que la part de Victor Saint Macary sur “Le Brio” est de 23%, ce qui semble être normal étant donné qu’il est crédité comme co-scénariste du film et auteur mais comme réalisateur.
On va sortir la calculette. 549 visionnages qui rapportent 46,58€ pour 23% des parts de droits d’auteur, cela nous donne 549 visionnages qui rapportent 202€ (allez, disons 200€) de droits d’auteur à se partager. Soit 36 centimes d’euros par visionnage à se partager entre les auteurs.
Je n’ai qu’un seul point de comparaison pour ce chiffre et il me vient d’un tweet de 2017 du réalisateur Jean-Paul Salomé :
Jean-Paul Salomé avait aussi eu l’imprudence/la courage/l’affront/la gentillesse (rayez les mentions inutiles) de partager lui aussi un chiffre de visionnages sur l’année 2016, ce qui est à ma connaissance le premier partage de ce type sur Twitter.
Sachant que Jean-Paul Salomé est crédité comme réalisateur et co-scénariste de “Les femmes de l’ombre”, cela lui donnerait environ 75% de parts des droits d’auteurs sur ce film. 75% de 36 centimes d’euros, c’est 27 centimes d’euros. Jean-Paul Salomé parle de 2,6 centimes d’euros dans ce tweet ce qui m’amène à plusieurs possibilités :
la virgule mal placée dans son tweet, ce sont des choses qui arrivent mais peut-être moins quand on parle d’argent.
une revalorisation x10 de l’accord entre Netflix et la SACD entre 2017 et 2022. Possible mais j’y crois pas trop. Cependant, le directeur général de la SACD, Pascal Rogard, évoquait dans cet article que “Netflix nous paye un pourcentage de son chiffre d’affaires”. Le chiffre d’affaires de Netflix en France entre 2016 et 2022 a sans doute été multiplié par 10, le service n’ayant que 1,5M d’abonnés à l’époque.
un taux évolutif selon le nombre de visionnages. Ce qui est vrai pour 500 visionnages ne l’est plus pour 20 000. Ou bien même évolutif selon les films, leur récence… Dans le rapport d’activité 2021 (page 21), la SACD mentionne le fait qu’”Une nouvelle règle de dégressivité a également été ajoutée aux barèmes SVOD” donc ce pourrait être la raison de cette différence. Pascal Rogard, dans l’article que j’ai linké plus haut évoque aussi que “le barème prévoit une majoration pour les œuvres inédites, des séries ou des téléfilms, dont la première diffusion est sur Netflix. Ça pourrait être aussi le cas pour les films de cinéma”. Donc le barème fait au moins la différence entre films de cinéma et “téléfilms” (donc les films Netflix Originals mais j’y reviens plus bas).
C’est là que la confidentialité de l’accord et des chiffres qui en découlent ne me permettent pas d’aller plus loin. (Si vous êtes du secteur et que vous avez des chiffres à ce propos à me fournir, n’hésitez pas, ma boîte mail est ouverte, mes MPs sur Twitter aussi. Anonymat garanti !).
36 centimes par visionnage, cela parait peu mais c’est beaucoup selon quelques professionnels avec qui j’ai pu échanger, par rapport à d’autres modes d’exploitation. Sur une location VOD à 3,99€ par exemple, ce montant de droits d’auteur à se partager tourne plus autour 10-13 centimes maximum. Mais c’est le taux qu’on a calculé sur la base de la déclaration officielle donc c’est qu’elle doit bien être en vigueur à un moment dans le contrat signé entre la SACD et Netflix (sans que ça soit forcément la règle générale).
Quid des films français les plus populaires sur Netflix en France ?
Après avoir sorti la calculette, on va désormais sortir les grosses pincettes tant je m’aventure ici dans des sables mouvants méthodologiques. Les 3 films français les plus populaires en France en cette année 2022 sur Netflix sont “Loin du périph’”, “Sans répit” et “Les liaisons dangereuses”. Ils sont tellement populaires qu’on a des chiffres de visionnages selon Netflix pour plusieurs semaines, les deux premiers ayant même réussi à intégrer le Top 10 all-time des films Netflix non-anglophones.
Je vais me restreindre aux 4 premières semaines. Selon mes décomptes en EVC, nous avons “Loin du périph’” avec 37,9M d’EVC, “Sans répit” avec 35,9M d’EVC et “Les liaisons dangereuses” avec 18,9M d’EVC. Ces chiffres sont au niveau mondial donc il faut essayer maintenant d’imaginer ce que ça donne en France. Netflix France a 10 millions d’abonnés, soit 4,5% du nombre d’abonnés à Netflix dans le monde. Mais ces films étant français, on peut imaginer qu’ils ont plus attiré de spectateurs en France. Et la Belgique est aussi incluse dans l’aire de compétence de la SACD. Donc misons sur environ 8-12% plutôt. Sur cette base (trèèès mouvante, j’avais prévenu), on va simplement estimer que “Loin du périph” a fait l’équivalent de 4-5M de visionnages complets en France/Belgique francophone sur ses 4 premières semaines, “Sans répit” 3M et “Les liaisons dangereuses” 1M de visionnages.
Je vous laisse multiplier cela par le taux qui vous semble le plus crédible, entre 3,6 centimes et 36 centimes d’euros par visionnage et vous aurez votre ordre d’idée des droits d’auteurs reversés par Netflix pour la période de lancement de ces films. On peut cependant estimer que pour ces trois films, on parle au minimum de plusieurs dizaines/centaines de milliers d’euros de droits d’auteur à se partager, sur la période de démarrage de ces films. Mais à nouveau, cela reste difficile à estimer plus précisément.
Comme la SACD rétribue au visionnage, il est bien évident que ce sont les films français qui ont le plus cartonné qui ont le plus à y gagner en droits d’auteur. Et quels films français cartonnent principalement en France ? Les films français Netflix Originals mais pas seulement. Selon FlixPatrol, voilà les 10 films français les plus populaires (qui sont donc apparus le plus dans le Top 10 quotidien en France) sur Netflix en 2022 :
“Loin du périph” (ORIGINAL) - 269 pts.
“Sans répit” (ORIGINAL) - 209 pts.
“Les liaisons dangereuses” (ORIGINAL) - 154 pts.
“Barbecue” - 99 pts.
“Marie-Francine” - 92 pts.
“Walter” - 91 pts.
“Le doudou” - 89 pts.
“LOL” - 84 pts.
“Le chant du loup” - 83 pts.
“Let’s dance” - 73 pts.
On retrouve le même ordre de tête que les chiffres mondiaux, mais impossible d’estimer le nombre de visionnages des films du reste du Top 10.
En 2019, la SACD avait indiqué que Netflix était devenu sa 4ème source des revenus, devant M6, ce qui a dû encore augmenter depuis. En 2021, les sommes perçues par la SACD s’élevaient à quasiment 200 millions d’euros, dont 175 millions pour l’audiovisuel.
Des sommes considérables, à mettre au crédit de la SACD qui est l’un des rares exemples dans le monde d’organisme à avoir réussi à faire entrer Netflix dans ce cercle vertueux au service des auteurs depuis 8 ans maintenant.
Je termine avec un dernier tweet retrouvé dans les profondeurs d’Internet (qui n’oublie décidément jamais) et qui nous vient de Myriam Aziza, la réalisatrice du film français Netflix Original “Les goûts et les couleurs” avec Julia Piaton sorti sur Netflix le 24 juin 2018.
C’est l’un des tous premiers films Netflix Originals à être sortis, après celle de “Blockbuster” (une acquisition) et “Je ne suis pas un homme facile” (vraie première production d’un film Netflix Original en France). A l’époque, pas de Top 10 hebdomadaire ou quotidien et le film n’avait pas non plus eu de communication officielle de la part de Netflix sur son nombre de visionnages mais sa réalisatrice a partagé en 2019 que sur ses 6 premiers mois en 2018, en Belgique et en France, le film avait fait 1,2 millions de visionnages, soit 6600 visionnages par jour en moyenne en France et en Belgique.
Difficile à comparer avec quoi que ce soit d’autres (si ce n’est avec les 20 000 visionnages pour “Les femmes de l’ombre“ sur toute l’année 2016, soit 54 visionnages par jour en moyenne) mais cela reste un beau chiffre pour un film sans vraie star connue et sur deux territoires seulement à une époque où Netflix en France ne comptait que 3,5 millions d’abonnés.
Bonne semaine (sous la pluie, espérons) !