La VOD directe sort du bois en France.
Est-ce l’approche du printemps qui vitalise le secteur ciné et le rend plus aventureux ? En tous cas, quelques initiatives de sorties innovantes en VOD ont bourgeonné ces derniers jours en France.
Est-ce l’approche du printemps qui vitalise le secteur ciné et le rend plus aventureux ? En tous cas, quelques initiatives de sorties innovantes en VOD ont bourgeonné ces derniers jours en France.
Welcome to New York
Il y a quelques semaines, “Veronica Mars” sortait en France directement en VOD, dans le sillage de la collection “OVNI” (Objets VOD Non Identifiés) de Sony Pictures Home Entertainment France. Des films indés ont donc trouvé leur chemin jusqu’à la France en sautant la case ciné pour celle, plus limitée à première vue, de la VOD. Pourtant cette pratique va être davantage mise en lumière alors que “Welcome to New York” d’Abel Ferrara et produit par Vincent Maraval et Brahim Chioua s’apprête à prendre le même chemin risqué.
“Welcome to New York”, le pari de la sortie directe en VOD.
Vincent Maraval ne fait pas le choses comme tout le monde. Déjà responsable de la polémique autour du salaire des acteurs français il y a quelques années, le voilà qui jette à nouveau un pavé dans la mare du ciné français en sortant “Welcome to New York” d’Abel Ferrara (aussi connu comme “Le film sur l’affaire DSK”) directement en VOD dans quelques semaines, pendant le festival de Cannes. Dans un entretien accordé au Monde, il définit la stratégie marketing qui sera utilisée pour le film.
On va dépenser environ un million d’euros. C’est plus que pour Her de Spike Jonze par exemple, alors qu’il n’y a pas de frais techniques liés à la fabrication des copies. On va faire de l’affichage, des bandes annonces, mais aussi de la pub télé — ce qui est interdit lors d’une sortie en salles. Pendant dix jours, le film sera exposé sur les pages d’accueil de toutes les plateformes Internet, iTunes, Free, Orange… : on touchera 20 millions de visiteurs par jour. — Vincent Maraval.
20 millions de visiteurs touchés par jour pour 1 million d’euros investis, une bonne affaire sur le papier mais à la rentabilité incertaine. Les limites de la réglementation française sont aussi apparentes puisque le film bénéficiera de pubs à la télévision, chose interdite pour les films qui sortent en salles mais donc pas pour les films qui sortent directement en VOD !
Le film sera loué 7€, moins cher qu’une place ciné (ne me lancez pas sur la rigolade du prix de référence à 6,20€) surtout pour une vision à plusieurs chez soi. Pourquoi “Welcome to New York” ? Certes, il y a l’attente assez forte autour du film qui raconte les dessous de l’affaire DSK mais aussi parce que le financement du film le permet.
Le film a été totalement financé aux Etats-Unis. Si Canal + ou France 2 avaient investi dans le film, il aurait fallu le sortir en salles pour qu’il soit qualifié d’œuvre de cinéma. — Vincent Maraval.
Le financement ou pré-achat par les chaines. Voilà un sujet que je trouve intéressant parce que l’on peut l’interpréter de plusieurs façons. La première, c’est de se dire que sans ce financement, un bon nombre de films ne verraient pas le jour. C’est louable, cela crée un cercle vertueux et tout le monde y trouve son compte. L’autre façon de voir ce financement, c’est de l’appeler comme il est : un verrouillage pur et simple de la distribution des films. C’est l’une des raisons principales pour lesquelles la distribution directe n’existe quasiment pas en France. Parce que les chaines investissent et s’attendent à jouir de la diffusion des films selon le schéma classique Ciné — Video — Télé.
Ce n’était pas le cas de “Veronica Mars”, ce n’est pas le cas de “Welcome to New York” et ce n’est pas le cas des centaines de films indés produits dans le monde qui tentent l’expérience de la distribution directe. Certes, c’est autant d’argent frais dans la popoche des créateurs du film qui perdent dans le même temps tout droit de regard sur la meilleure façon de distribuer leur film et ne peuvent donc pas expérimenter de nouvelles façons de distribution. Un système un peu pervers donc.
“Computer Chess”, un autre exemple de sortie VOD intéressante.
Peut-être avez-vous entendu parler de “Computer Chess”, un film sorti en France il y a quelques semaines, acclamé par la critique et distribué dans deux salles seulement. Comme je chouine pas mal, j’ai écrit un article sur Medium intitulé “A plea for worldwide VOD releases of US indie films” dans lequel je parlais spécifiquement de cette distribution sacrifiée d’un film que j’aurais aimé voir mais aussi du geoblocking perpétré par les différentes plates-formes de VOD à travers le monde. Bien relayé par la suite sur Twitter, le compte officiel du film me dit de jeter un coup d’oeil au site officiel (sur lequel on peut acheter le film en VOD mais géoblocké pour la France) après le premier week-end d’exploitation du film.
Et là, miracle, le film est désormais disponible à l’achat en VOD depuis le site officiel pour les clients français. 5 jours après sa sortie ciné en France, le film est disponible (en version originale sans sous-titres). Est-ce légal ? Aucune idée. Probablement non sauf si cela a été abordé dans le contrat d’exploitation ciné du film. Toujours est-il qu’en n’étant pas domicilié en France, le site officiel ne tombe pas sous le coup de la législation française. C’est comme ça que je l’interprète mais je ne suis pas assez versé dans les textes de lois. Est-ce que cette mise à disposition a troublé l’exploitation du film dans les deux salles qui le diffusaient ? Probablement pas non. Est-ce que cela me permet de voir le film comme tout un chacun alors que j’habite à deux cents kilomètres de l’une de ses deux salles ? Exactement oui et je les en remercie pour ça.
Joss Whedon et la tentation de la distribution directe avec “In your eyes”.
Depuis “Avengers”, Joss Whedon est l’un des cinéastes qui comptent le plus à Hollywood. C’est donc avec un spotlight tout particulier de la part des médias que s’est effectuée la sortie directe en VOD de sa dernière production “In your eyes”, le lendemain de sa première au festival du film de Tribeca.
Un film au micro-budget de 1 million de dollars disponible pour le monde entier le même jour, avec des sous-titres anglais, français, espagnols, japonais… Bref, de quoi mettre toutes les chances de son côté, surtout que Whedon a de quoi être refroidi par l’exploitation de son précédent petit film “Beaucoup de bruit pour rien”, sorti notamment en France en janvier dernier dans une poignée de salles, six mois après sa sortie un peu partout dans le monde.
Au-delà de l’initiative, Whedon amène avec lui le poids de l’exemple en montrant aux cinéastes indépendants que la VOD directe, c’est faisable, ce n’est pas honteux et ça peut payer aussi. Peut-être le coup de pouce qu’il manquait à tout le secteur pour vraiment développer cette pratique.
“Après la nuit” de Basil Da Cunha, en VOD avant sa sortie ciné.
En ce moment, une autre initiative, déjà tentée auparavant, a lieu pour le film “Après la nuit” de Basil Da Cunha et distribué par Capricci. Le film est disponible depuis quelques jours en VOD sur iTunes, Orange, FilmoTV et GooglePlay avant sa sortie en salles le 23 avril prochain. Ce n’est pas la première fois qu’une telle expérimentation est tentée, mais comme à chaque fois, ce sont pour des films d’auteur à la visibilité confidentielle.
Il y aurait de nombreux points à définir et à discuter entre distributeurs, exploitants de salles et plateformes VOD, pour trouver un meilleur système de distribution des films, où la majeure partie ne se verrait pas sacrifiée. Il faudrait surtout commencer par remettre les films au centre de la discussion, plutôt que de vouloir préserver le statu quo corporatiste qui existe en France. La logique de la chronologie des médias, pour laquelle la salle représente le lieu privilégié, voire unique, de la découverte du cinéma, et la France le pays de la cinéphilie, date d’une autre époque. — Julien Rejl (Capricci)
On ne s’en cache pas du côté de Capricci, les exploitants ne sont pas du tout partants pour ce genre d’expérimentations et n’hésitent pas à blacklister ces films de leurs salles. Plutôt que remettre les films au centre de la discussion, c’est surtout le spectateur qui doit être au centre des préoccupations. Comment faire venir les films facilement jusqu’à nous plutôt que de nous forcer à aller les découvrir en salles ? Voilà la grande question qui commence à tarauder quelques acteurs du secteur à l’heure du développement en masse de la consommation de films directement chez soi via Netflix et autres.
Las, le secteur tout entier semble empêtré dans son schéma existant entre exploitants dont le but est de faire venir en salles pour vendre ses confiseries d’un côté, les chaines télé qui verrouillent les droits d’exploitation sous couvert de participations aux films de l’autre et les distributeurs eux-mêmes qui choisissent finalement pour le public quels films sortiront en France. Il n’y a pas de raisons que cela change dans l’immédiat.
Mais la sortie VOD directe, ou le cinéma à la maison comme l’appelle Vincent Maraval, n’est plus tabou. Elle apparait à l’initiative des distributeurs, des cinéastes eux-mêmes ou sous l’impulsion de la demande. C’est déjà un grand pas en avant et ça promet pour l’avenir.
Je m’occupe de FilmsdeLover.com, le site dédié aux films d’amour et comédies romantiques. Contact : frederic[at]filmsdelover.com