Du sketch Youtube au long-métrage : Norman et Rémi Gaillard mis K.O. par “Camp Takota”.
Que ce soit en France ou aux Etats-Unis, des stars de Youtube décident de passer par la case “Film”. Portraits croisés de méthodes aux…
Que ce soit en France ou aux Etats-Unis, des stars de Youtube décident de passer par la case “Film”. Portraits croisés de méthodes aux fortunes diverses…
Ils s’appellent Norman et Rémi Gaillard. Leurs vidéos sont vues par des millions de personnes sur Youtube et autant les suivent sur les divers réseaux sociaux sur lesquels ils se trouvent. Ce sont les stars de Youtube, les nouvelles idoles des jeunes. De quoi aiguiser l’appétit des producteurs et distributeurs désireux d’attirer ces jeunes dans les salles de cinéma pour voir leurs nouveaux “héros” sur grand écran. Pour l’instant, la mayonnaise ne prend pas. En France en tous cas.
Le cinéma, de pas très normales activités pour n’importe qui.
4,3 millions d’abonnés Youtube pour Norman Fait des Vidéos, 3,9 millions pour Rémi Gaillard, 8 millions de fans Facebook à eux deux. Tout le monde en dessous de 25 ans connait l’un ou l’autre de ces humoristes et a déjà vu une de leurs vidéos. Leurs deux autres points communs ? Avoir tenté l’aventure cinéma et ne pas avoir réussi à fédérer leurs communautés dans les salles.
Sorti fin janvier 2013, “Pas très normales activités” est, de l’aveu même de Maurice Barthélémy, un film qui n’a pas été écrit pour Norman. Les producteurs voulaient la tête de proue de la génération Internet et Norman s’est imposé de lui-même. Dans les semaines précédant la sortie, le jeune comique joue donc un rôle moteur du marketing en se rendant à de nombreuses avants-premières ou en postant une vidéo qui relate sur le ton de l’humour ce premier rôle au cinéma, une vidéo visionnée plus de 5 millions de fois. La génération Youtube volerait-elle au secours de l’industrie traditionnelle du ciné, secteur à la recherche de nouvelles idoles pour attirer les foules ? Las, distribué par Paramount sur 220 copies, le film n’attire que 177 000 curieux en salles.
“N’importe qui” est lui une extension filmée des pitreries de Rémi Gaillard, vaguement cousu ensemble le long d’un scénario. Dans les deux cas d’ailleurs, ce n’est pas le scénario qui compte (ou qui a englouti le budget principal) mais bien la tête d’affiche et l’influence qu’elle peut exercer sur les masses pour les attirer en salles. Sorti le 5 mars 2014, “N’importe qui” a fédéré un peu plus de 130 000 spectateurs et devrait donc venir titiller le score de “Pas très normales activités”. Cela permet au moins d’évaluer précisément le public potentiel pour ce type de film avec des Youtubers, en se basant sur les scores de ses deux plus importants représentants.
“Je pense que cela aurait été différent si le film était sorti directement sur Youtube. Dès qu’il y a une récupération commerciale de leur idole, les internautes le voient d’un mauvais oeil.”
Maurice Barthélémy, réalisateur de “Pas très normales activités” dans BiTS.
Si l’on devait tenter d’expliquer ces deux échecs commerciaux, l’analyse de Maurice Barthélémy est probablement la meilleure. On pourrait aussi avancer qu’il est bien plus facile d’amener 5 millions de personnes à regarder une vidéo gratuite que d’en influencer 5 millions à débourser 10€ pour regarder un film au cinéma. Les Youtubers se sont fait connaitre par ce biais et les internautes n’auraient donc pas envie qu’ils sortent de cette case. Or eux savent bien qu’ils ne pourront pas faire des vidéos chez eux toute leur vie d’où l’envie d’évoluer naturellement vers le cinéma ou la télévision, deux médias plus traditionnels. Pour la télé, cela se traduit notamment concrètement par les rapprochements en Studio Bagel (pépinière de talents Youtube) et Canal +. Si cela semble fonctionner pour la télé, la greffe a beaucoup plus de mal à prendre pour le ciné.
En cause selon moi : des techniques de production, de marketing et de distribution en décalage total avec le public visé.
“Camp Takota”, petit guide de production et distribution pour Youtubers en passer de réaliser un film.
Connaissez-vous Grace Helbig, Hannah Hart ou Mamrie Hart ? Probablement pas si vous n’êtes pas abonné à leurs chaines Youtube. A elles trois, elles cumulent pourtant 3,7 millions d’abonnés (2,2M pour Grace Helbig, 1,1M pour Hannah Hart et 500 000 pour Mamrie Hart) et 1 million de followers sur Twitter. Soit autant que Rémi Gaillard et moins que Norman. Elles aussi viennent de sortir un film, un film qui lui a fait un tabac et dont vous n’avez jamais entendu parler. Ce film, c’est “Camp Takota”.
Dès le départ du projet en 2012, il n’y a aucune ambiguïté : “Camp Takota” sera distribué sur Internet, et peut-être éventuellement dans certaines salles de cinéma pour des avants-premières exceptionnelles avec l‘équipe du film. La législation américaine autour de la chronologie des médias permet ce genre de choses (tout comme celle française d’ailleurs avec quelques expérimentations ces dernières années peu concluantes et pas pour de gros films, l’exception étant “Veronica Mars”). RockStream Studios, en charge de la production de “Camp Takota”, sait alors qu’elle doit capitaliser sur l’énorme fanbase des trois comiques américaines. “Nous sentions que cette fanbase se mobiliserait davantage si nous l’intégrions à tout le processus de développement du film” expliquait l’équipe de RockStream dès l’annonce du projet début 2013. Ils décident donc de lancer un Insider access sur la plateforme Chill qui permettra à tous les abonnés de suivre gratuitement l’évolution du tournage de façon régulière.
Making-of, interviews, vidéos du tournage, bêtisiers en accès privilégié, les fans sont chouchoutés dans l’optique de leur vendre le film une fois qu’il sera terminé. Si la production se passe sans accroc, la distribution numérique accuse elle un mauvais coup lorsque la plate-forme Chill annonce sa fermeture fin novembre 2013, soit deux mois avant la sortie du film. Magie du numérique, “Camp Takota” trouve aussitôt un nouveau refuge chez VHX, une autre plateforme de distribution numérique.
Entrent alors en jeu les précommandes du film, accompagnées de toute une palanquée de packs pour des prix allant de 9,99$ pour le film seul à 300$ pour le film et un message de remerciement enregistré à votre intention par les trois stars du film. La méthode ressemble à celle de Kickstarter mais il s’agit ici bien de précommandes et non de conditions sine qua none à la création du film. Les autres packs se composent comme suit :
Les fans du film y trouvent chacun quelque chose qui peut leur plaire. Distribution numérique oblige, les retours financiers sont également bien plus intéressants qu’une sortie cinéma traditionnelle. Le poids de la communauté tourne à plein régime et le 14 février 2014, le film sort sur le site officiel (en version sans DRM) puis sur iTunes. Si RockStream n’a pas évoqué de chiffres précis, ils estimaient simplement que le film se vendait au-delà de leurs espérances quelques jours après la sortie. Un coup d’oeil sur les classements de vente iTunes pour sa première semaine le confirme :
Distribution numérique oblige (encore), le couperet du box-office du premier week-end ne s’applique pas et le film est disponible 24/24, 7j/7 sur son site officiel et sur iTunes, prêt à être acheté par des fans nouvellement conquis par la pub sans commune mesure que font les fans du film sur les réseaux sociaux.
Selon les dires de ses créatrices, le film aurait été rentable dès le 4ème jour de sa commercialisation. Grace Helbig, Mamrie Hart et Hannah Hart ont réussi là où ont échoué Norman et Rémi Gaillard pour des raisons finalement très simples. Elles n’ont jamais oublié d’où elles venaient et à qui leur film était destiné. Leur public les a connu sur Internet et elles ont sorti leur film sur Internet, au prix d’un film normal, sans dévaluer leur travail, sans passer pour des Youtubeuses qui auraient “vendu” leur âme à des pros du ciné, sans donner l’impression à leurs fans qu’elles n’en avaient qu’après leur argent. Elles ont contrôlé la communication autour de leur film de A à Z, de la même façon qu’elles contrôlent chaque jour la communication de leurs chaines Youtube, sans chercher à transvaser leur fanbase de derrière l’ordinateur vers la salle de ciné et en les intégrant complètement au processus de création du film. On en revient finalement toujours à la même devise, popularisée par VHX : “Think like a fan”. Une leçon à retenir pour les futurs Youtubers français animés de velléités cinématographiques.
Je m’occupe de FilmsdeLover.com, le site dédié aux films d’amour et comédies romantiques. Contact : frederic[at]filmsdelover.com