Docteur Canalplay et Mister Canal+.
Canal+ est la plus grande force (et la plus grande limite) de Canalplay, son service de SVOD (VOD par abonnement).
Canal+ est la plus grande force (et la plus grande limite) de Canalplay, son service de SVOD (VOD par abonnement).
L’arrivée de Netflix en France est sans aucun doute l’évènement médiatique de l’année 2014. Un nouvel acteur, un géant américain qui plus est, dans un domaine encore peu développé en France et où se battaient jusqu’à présent Jook Video (750 000), Canalplay (520 000 abonnés), FilmoTV (40 000), Mubi… De quoi faire peur aux acteurs en place qui depuis quelques mois préparent en catastrophe leur riposte. Face au géant rouge américain, Canalplay est celui qui semble avoir le plus à perdre avec JookVideo, FilmoTV et Mubi ayant des spécificités qui les limitent à un secteur de niche (sélection très éditorialisée cinéma pour FilmoTV comme pour Mubi et sa formule 1 film par jour).
Octobre 2011, Canal + lance donc Canalplay Infinity, son offre SVOD en le comparant dès le début à un “Netflix à la française”, d’abord sur les box puis sur Internet (début 2012). A l’époque déjà, Canal se prépare à l’arrivée imminente des géants américains du secteur, Netflix ou Amazon en tête. Il faut occuper le terrain pour leur couper l’herbe sous le pied. Plus de deux ans et demi plus tard, les géants sont enfin là et Canalplay a hélas manqué entretemps l’occasion de devenir l’acteur incontournable du secteur. Pourtant, Canal+, l’ami du cinéma français, son grand argentier, est une puissance sans commune mesure en France. Ce sont eux qui ont les meilleures séries, les films en exclusivité grâce à leur place centrale dans l’économie du cinéma. Ils sont craints et redoutés, comme cette petite phrase entendue à l’approche de la soirée d’ouverture de Netflix de la part de producteurs “On y va masqués, sinon on va se faire griller par Canal+…”. Cependant, cette place centrale de C+ aurait dû être la grande force de Canalplay.
Les limites de Canalplay.
Or, la limite de Canalplay, c’est justement Canal+. Lors de la conférence de presse visant à montrer les évolutions de Canalplay quelques jours avant l’arrivée de Netflix, l’accent était porté sur les évolutions de l’expérience utilisateur. Moteur de recommandation “humain” (en opposition aux méchants robots de l’algorithme de Netflix rabaissé à maintes reprises par Manuel Alduy, chef de Canal OTT, sur son compte Twitter), interface améliorée sur les box, téléchargement des programmes pour consultation sans connexion (LA belle et grande idée de Canalplay, un véritable avantage qu’il faudra concrétiser), développement de sitcoms originales par le “réservoir à talents” qu’est le Studio Bagel (appartenant à Canal+)… De belles choses donc qui ne se posent qu’en alternative à Netflix et non comme une concurrence frontale.
Les séries originales de Netflix (“Fargo”, “Orange is the new black”…), c’est l’un de ses points marketing majeurs. Cela l’est pour Canal+ aussi avec les séries comme “Braquo”, “Mafiosa”, “Engrenages” etc. Sauf que ce qui est vendeur pour Canal+ ne peut pas l’être pour Canalplay. Résultat : les séries originales Canal+ ne seront pas disponibles sur Canalplay, pour l’instant du moins. Sur le catalogue, le point central de la lutte Netflix/Canalplay, ces derniers ne peuvent pas se mettre trop en avant pour ne pas déprécier l’abonnement à Canal+ et aux différents bouquets thématiques de la chaines cryptée, moteur incontournable de la chaine cryptée avec des abonnements qui vont de 25 à 75€ par mois quand Canalplay ne coûte que 7,99€/mois. Résultat : pas trop de ciné pour ne pas faire de l’ombre à Canal+ Ciné, pas trop de séries neuves pour ne pas faire de l’ombre à Canal+ Séries, pas de séries originales pour ne pas faire de l’ombre à Canal+.
Canal+ n’a d’ailleurs jamais caché que le développement de la SVOD par le biais de Canalplay n’était pas une priorité.
“Pourquoi faudrait-il forcément développer la SVOD en France ? Nous pensons que l’offre est assez importante. Si le consommateur veut voir beaucoup de films il peut s’abonner à une chaîne de cinéma.”
Manuel Alduy, chef de Canal OTT dans cette interview
Cet équilibre de funambule, ce frein mental est au centre de tout ce que fait (et ne fait pas) Canalplay depuis sa création, qui ne peut compter désormais que sur la technique et sur ses ressources maisons, comme Studio Bagel, pour faire la différence contre Netflix. Las, la technique du géant Netflix est déjà bien plus rodée que celle mise en avant par Canalplay (sauf sur le téléchargement pour visionnage hors-connexion, gros point fort, je le répète. A voir si elle sera techniquement au point, la fiabilité de celle de Canalplay étant pour le moins fluctuante). Il y a aussi fort à parier qu’une sitcom originale de Studio Bagel, jusqu’alors spécialisé dans les programmes courts gratuits (et parfois sponsorisés) sur Youtube, ne sera pas d’un grand secours pour les abonnements face à l’armada de séries que Netflix a constituée à l’heure actuelle (“Breaking Bad”, “The walking dead”, “How I met your mother” et tant d’autres…).
L’un des exemples de crispation autour du catalogue symptomatique de cette limite de Canalplay, celui le plus emblématique aussi peut-être, c’est la question des droits de “House of Cards”, la série porte-étendard de Netflix mais qui restera en France chez Canal+ au moins pour les saisons 1, 2 et 3. Motif de réjouissance pour la chaine cryptée puisque cela est un vrai atout… dont ne profitera pourtant pas Canalplay. En effet, la grande différence est qu’en France, “House of Cards” n’est pas distribué par un service de SVOD comme c’est le cas partout dans le monde via Netflix, mais bien par une chaine cryptée qui fait payer son abonnement au prix fort. Impossible donc pour Canalplay de capitaliser dessus puisque c’est un atout de Canal+ et de Canal+ uniquement. Les séries neuves évènement que Canal+ achète, c’est d’abord et avant tout pour Canal+, pas pour Canalplay, sa déclinaison low cost. Mais quand Netflix achète une série neuve, c’est pour elle seule et ses 50 millions d’abonnés dans le monde. Une différence de conception de ce que doit être la SVOD qui portera préjudice à Canalplay sur le long terme.
Il ne reste donc plus qu’à Canalplay qu’à jouer le rôle du petit challenger frenchy face à l’ogre américain Netflix, alors qu’il aurait pu devenir un acteur incontournable en France s’il en avait eu la possibilité depuis le début. Las, après trois ans en position de force sur le secteur français, trois ans passés à s’asseoir sur ses mains pour ne pas faire de l’ombre à Canal+, Canalplay est toujours déficitaire et l’arrivée de Netflix n’améliorera sans doute pas les choses. On peut aussi comparer l’image que donne Canalplay et sa tripotée de nouveautés quelques jours avant l’arrivée de Netflix à celles des opérateurs téléphoniques après l’arrivée de Free et ses abonnements à prix cassés. Les clients avaient alors eu la désagréable impression que l’on s’était moqué d’eux depuis des années avec des offres pas du tout alléchantes qui s’étaient “débloquées” comme par magie du jour au lendemain à l’arrivée d’un concurrent. Ici, c’est pareil et c’est d’autant plus regrettable qu’un Canalplay fort et bien installé aurait pu repousser l’arrivée de Netflix d’encore quelques années.
Parce qu’au final, la plus grande force de Netflix, ce n’est pas seulement son budget démentiel, son algorithme, sa technique ou le fait qu’il soit établi aux Pays-Bas. C’est purement et simplement le fait qu’il ne fait QUE de la SVOD et qu’il se donne les moyens de la faire bien, sans se soucier de considérations comme celles qui influent sur la feuille de route de Canalplay. Netflix ne se fixe aucune limite pour convertir ses abonnés à la SVOD. Canalplay en a hélas une majeure : Canal+.
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