Les films sortis au cinéma marchent-ils vraiment mieux en streaming que les films sortis directement en streaming ?
Il est temps de débunker par la data cette idée reçue.
Introduction
Dans le débat “streaming versus ciné”, l’un des arguments qui revient le plus est celui du “Les films sortis au ciné marchent mieux en streaming que les films qui sortent directement en streaming” et cet argument se base principalement sur une étude de l’analyste The Entertainment Strategy Guy en plusieurs parties que je vous mets en lien ci-dessous.
N’hésitez pas à la lire et/ou la relire si vous êtes abonné (elle est payante) parce qu’elle a ses mérites même si je suis en désaccord profond avec son auteur sur la méthodologie utilisée, notamment parce qu’elle a de profondes conséquences sur ses trouvailles.
Déjà, il se base uniquement sur les heures vues sans les relativiser (on va ainsi comparer les heures vues de films qui durent 2h30 à celles de films qui durent 1h30) mais surtout, il prétend se baser sur les chiffres des 4 premières semaines de visionnages pour mieux comparer les titres entre eux. C’est une excellente chose parce que cela permet de vraies comparaisons mais quand on y regarde de plus près, pour la majorité des films, il ne se base en fait que sur une seule semaine, voire quelques jours seulement puisque ces films ne sont restés que très brièvement dans le Top 10 Nielsen hebdomadaire. Ce sont ensuite ces chiffres sur 3-4 jours ou 2 semaines qui alimentent les moyennes “sur 4 semaines” qui sous-tendent sa thèse.
C’est pourquoi j’ai essayé plutôt d’être constructif en apportant ma pierre à l’édifice et en me penchant sur cette question épineuse et pourtant centrale avec ma propre méthodologie que j’explique en détails ci-dessous.
Méthodologie
Comme vous l’avez compris, la méthodologie est très importante dans ce genre d’études et voici donc celle que j’ai utilisée :
Les données utilisées sont celles de Nielsen, aux US et sur TV uniquement entre le 1er janvier 2021 et le 31 juillet 2024, soit depuis l’instauration du triple classement hebdomadaire. Certains films mentionnés peuvent être sortis un peu avant le 1er janvier 2021 s’ils sont parvenus à rester dans le Top Nielsen plus de 3 semaines. Soul est donc comptabilisé mais pas Wonder Woman 1984 pour lequel on n’a que 3 jours de données.
Ces données en minutes vues sur une semaine du lundi au dimanche de Nielsen sont ensuite divisées par la durée des programmes. Il ne s’agit que d’un simple reverse-engineering de ce que fait Nielsen, qui prend la moyenne des téléspectateurs et multiplie par la durée des films pour établir ses Tops 10 hebdomadaires. Cela permet de tomber sur une mesure en Équivalents de Visionnages Complets, qui met sur un pied d’égalité tous les films, peu importe leur durée.
Pour avoir le plus grand échantillon possible et comparable sur le plus de services, j’ai choisi de prendre comme période de temps observée les 14 premiers jours de disponibilité, là où se font une grande partie des visionnages et qui suffisent pour savoir si un film est un carton ou non. Les films sélectionnés ont donc été présents au minimum entre 2 et 3 semaines dans le top 10 hebdomadaire de Nielsen (selon leur jour de sortie dans la semaine), ce qui permet d’estimer ce chiffre à 14 jours.
A garder en tête : Nielsen ne distingue pas les visionnages faits en VOD payante à l’acte et attribue donc à un service SVOD des visionnages d’un film effectués en VOD. Toutes les données des films ciné dispos par ailleurs en VOD sont donc forcément augmentés artificiellement par ce biais d’analyse de Nielsen mais il n’y a aucun moyen d’y remédier. J’estime personnellement que ça augmente les chiffres des films ciné entre 5 et 15%.
Les films ciné que j’ai gardé sont ceux sortis en première fenêtre en streaming, pas ceux de catalogue qui reviennent et quittent les services au gré des accords. J’ai aussi gardé ceux qui sont sortis en deuxième fenêtre et je le mentionne quand c’est le cas.
Nielsen a élargi le périmètre des services SVOD qu’il prend en compte entre janvier 2021 et août 2024 en ajoutant Max, Peacock etc. Des films sortis avant la prise en charge de ces services ont donc pu passer entre les gouttes de leurs classements, aussi bien du côté des films sortis directement en streaming (le cas de Wonder Woman 1984 par exemple qui aurait sans doute une belle place de choix dans le Top 100) que des films ciné sortis ensuite en streaming.
Un aperçu général
La première chose que j’ai faite pour cette étude est de faire un premier Top 100 des films les plus regardés sur leurs premiers 14 jours en streaming aux US depuis 2021. Cette liste regroupe des films originaux en streaming bien sûr et des films sortis au ciné avant d’être dispos en streaming, soit en première fenêtre payante, soit en deuxième.
Pourquoi prendre les films ayant le mieux marché en streaming comme base à cette étude ? Parce que Nielsen n’offre qu’un aperçu de ce qui marche, via son Top 10 hebdomadaire. Tout ce qui est hors de cette ligne de flottaison est invisible et est donc inutilisable. De plus, la question est bien de demander si les films ciné surperforment par rapport aux films direct-to-streaming donc il parait évident de s’intéresser d’abord aux succès, ou en tous cas aux films étant parvenus à s’accrocher dans le Top 10 au moins plusieurs semaines.
Ce Top 100 des films les plus regardés en streaming sur leurs 14 premiers jours de disponibilité entre janvier 2021 et juillet 2024 offre un très bon premier aperçu général. En grisé, vous avez les films sortis d’abord au cinéma.
Dans ce Top 100, 36 films sont des films étant sortis au ciné avant (35 même puisque The Super Marios Bros Movie est cité deux fois, pour sa sortie sur Peacock et sa ressortie sur Netflix en deuxième fenêtre). Il y a des particularités, comme pour Five nights at Freddy’s (une sortie simultanée streaming/ciné), Free Guy (sortie simultanée sur Disney+ et Max) ou Avatar: The Way of Water (sortie simultanée sur Hulu et Max).
Si on s’en tient à ce classement simple, on voit déjà qu’il y a une majorité de films direct-to-streaming, 64% pour être exact, contre 36% pour les films de ciné. Je pourrais m’arrêter là dans cette étude parce que ça répond déjà à peu près à tout ce qu’on a besoin de savoir mais essayons d’aller plus loin.
La première chose à remarquer est que sur les 36 films de ciné présents dans ce Top 100, 12 sont des films d’animation et qu’il faut atteindre la 22ème place du classement pour trouver le premier film live action de ciné, avec Uncharted. Parmi ces 36 films de ciné, 24 sont des films adaptés ou suites de licences connues (dont 7 films du MCU étendu). Du côté des films direct-to-streaming, ils ne sont que 12 sur 64. Ce qui veut dire que dans ce Top 100, seulement 12% sont des films de ciné originaux, contre 43% pour les films direct-to-streaming. Et c’est un enseignement important à en tirer : les films direct-to-streaming parviennent plus facilement à faire des films originaux des succès en streaming que les films de cinéma qui doivent compter sur des films de franchise pour exister en streaming. Et c’est surtout Disney qui y parvient puisqu’ils distribuent la moitié des films ciné présents dans cette liste (18), contre 6 pour Universal et 10 pour Sony. La seule anomalie dans ce classement est le film Land of Bad qui a cartonné sur Netflix après une sortie cinéma vraiment limitée.
Il est peut-être temps de rappeler les accords existants aux Etats-Unis en ce qui concerne le streaming. Disney sort ses films ciné directement sur Disney+, ce qui parait logique. Pour leurs films Fox, c’est Max qui en fut le bénéficiaire jusqu’à Avatar: The Way of Water. Universal a deux types d’accords de distribution streaming. Pour ses films live action, la première fenêtre va à Peacock (normal, c’est la même maison) tandis que la deuxième va à Amazon Prime. Pour les films d’animation Universal, la première fenêtre va aussi à Peacock mais la deuxième va cette fois-ci à Netflix et comme on le verra, ils font généralement plus d’audience sur Netflix en deuxième fenêtre que sur Peacock en première. Ensuite, les films Sony vont en première fenêtre chez Netflix, ce qui explique la forte présence de leurs films dans ce Top 100. Enfin, il y a les films Warner qui vont d’abord sur Max en première fenêtre mais pour lesquels la seconde fenêtre semble être au cas-par-cas mais on y reviendra.
A partir de ce Top 100, j’ai ensuite calculé les moyennes des Top 5, 10, 15, 20, 25, 30, 35, 40, 45, 50, 55 et 60 des films direct-to-streaming et des films ciné pour voir ce qui a le mieux marché en moyenne. Pour les films ciné, vu qu’ils n’étaient que 35 dans le Top 100, j’ai dû descendre plus bas dans le classement. Voilà ce qu’on obtient :
En moyenne, les films sortis directement en streaming font 30 à 37% plus d’audience en streaming sur leurs 14 premiers jours de disponibilité que les films sortis d’abord au cinéma, avec des écarts qui s’agrandissent au fur et à mesure que l’on descend dans le classement jusqu’au Top 60 de chacune des deux catégories de films. Et c’est sans compter le biais de Nielsen qui compte les visionnages des films ciné en streaming et en PVOD, augmentant ainsi plus ou moins les chiffres des films ciné ou le fait que certains films sont sortis sur deux services simultanément !
Comme nous allons le voir cependant, ce n’est pas tout à fait uniforme selon les services mais cela donne déjà une donnée chiffrée importante et exploitable.
Commençons par regarder du côté de chez Netflix, le leader du marché et pour lequel on a forcément le plus de données. Sans surprises, les films originaux trustent la majorité des places du Top 80 avec 62 films originaux. Voici à quoi ressemble ce Top :
A nouveau, les films ciné qui parviennent à grimper dans ce Top 80 sont ceux issus des deals avec Sony (12) ou Universal animation (5). Il y a encore l’anomalie Land of Bad mais c’est aussi le seul exemple d’un film ciné qui est parvenu “organiquement” à fonctionner sur Netflix en dehors de tous deals de distribution, ce qui est assez impressionnant.
Si on regarde les moyennes des Tops 5, 10, 15 et 20, on s’aperçoit que chez Netflix, l’écart entre les performances des films originaux qui marchent le mieux et celles des films ciné qui marchent le mieux est plus prononcé que dans le Top 100 qui cumule tous les services, puisque l’écart grandit au fur et à mesure, passant de 39% à 42%.
Avec son moteur de recommandation et les divers leviers techniques du service (comme le Top 10, l’agenda des arrivées sur le service etc), Netflix parvient à faire que quasiment chacun de ses nouveaux films américains soient regardés par beaucoup d’abonnés aux US. Certes, on pourrait dire qu’ils en sortent tellement que c’est obligé d’en avoir qui cartonnent mais ce n’est pas forcément aussi simple que ça, d’autant plus qu’on parle ici de films qui ne s’inscrivent pas dans des univers cinématographiques connus, sauf quelques exceptions. Et le public les regardent davantage en général que des films sortis au ciné, qui ont en plus bénéficié d’un marketing plus ou moins prononcé.
Il y a des flops aussi, forcément, sous la ligne de ce qui est observable chez Nielsen, mais c’est également le cas pour des films issus de Sony qui ne parviennent pas à accrocher le Top 10 Nielsen sur la longueur.
L’une des questions autour des films Netflix est que ces derniers y gagneraient s’ils bénéficiaient d’une vraie sortie dans les cinés US et on pourrait arguer que le film le plus vu sur ses 14 premiers jours sur Netflix, à savoir Glass Onion: A Knives Out Mystery est un film de ciné puisqu’il a bénéficié d’une sortie limitée dans le temps (une semaine) mais dans plus de cinémas US qu’une sortie limitée traditionnelle Netflix. Cela donc viendrait à corroborer cette idée.
Mais c’était en 2022 et depuis, Netflix n’a pas réitéré l’expérience de la sortie ciné un tant soit peu large aux US, pour plusieurs raisons, je pense. La première est que je pense qu’ils se sont rendus compte que ça n’aide pas les visionnages en streaming plus que cela (sa première place est normale dans la mesure où c’est la suite d’une licence connue avec en plus un casting extraordinaire, sortie pour les fêtes de fin d’année, là où les Américains regardent le plus la TV).
L’autre est que financièrement parlant, même une sortie ciné large qui réussirait un peu en salles ne changerait foncièrement pas la donne pour Netflix. Si on compare les revenus du box-office annuel aux US et Canada à ceux de Netflix sur la même zone géographique, on se rend compte que Netflix gagne aux US et au Canada pratiquement le double de ce que rapporte l’intégralité des sorties cinés sur une année entière.
Et il faut préciser que les distributeurs ne gardent que 40-45% des recettes totales du box-office, partageant le reste avec les exploitants cinéma. Ainsi pour 2024, quand Netflix gagnera environ 16 milliards de dollars uniquement sur le continent nord-américain, les distributeurs de tous les films sortis au ciné sur le continent cette année se partageront environ 3,5 milliards de dollars.
Imaginons donc que Netflix joue la carte des sorties ciné pour ses principaux films. Quel intérêt pour eux de dépenser des dizaines de millions de dollars pour un succès d’exploitation complètement aléatoire et qui leur rapportera dans le meilleur des cas quelques dizaines de millions de dollars, une quantité vraiment négligeable de revenus par rapport à ceux de la SVOD, le tout en flinguant 30 à 40% des visionnages du film sur le service ? Pour l’instant, Netflix semble dire qu’il n’y en a aucun et c’est ce que semble commencer à comprendre Amazon et Apple mais nous y reviendrons.
Chez Disney par contre, l’intérêt de la sortie ciné semble avoir repris du poil de la bête après l’ère Chapek qui avait osé, rappelez-vous, le crime de lèse-majesté de sortir des films Pixar directement en streaming avec Luca, Turning Red et Soul. Pourtant et c’est à mettre au crédit de Bob Chapek, ce fut au moins des succès sur Disney+ puisqu’ils trustent les premières places du Top 35 des films les plus regardés sur Disney+ dans les 14 jours après leur sortie.
Connaissez-vous le pourcentage de différence de visionnages entre les films Pixar sortis en exclusivité sur Disney+ et ceux qui sont arrivés sur Disney+ après leur sortie ciné plus ou moins réussie ? Je vais vous le dire : 35%. On retrouve donc ici aussi cette “pénalité” en streaming d’environ un tiers de visionnages entre des films originaux en streaming et des films ciné que nous avions vu plus haut. Mais il y a une petite différence propre à Disney+ quand on élargit le scope :
De 30% en moins sur le Top 5, on passe à 8% en plus pour les sorties ciné quand on élargit au Top 15, grâce à toute la flopée de films ciné Disney/Marvel qui font toujours des scores solides une fois arrivés en streaming tandis que les films Disney+ originaux sont forcément moins porteurs. Le vrai flop (relatif) du line-up Disney+ Original est peut-être Disenchanted, qui avec seulement 12M d’EVCs en 14 jours fait bien bien moins que ce à quoi on pouvait s’attendre, surtout après le carton énorme de Hocus Pocus 2 (38,7M d’EVCs sur la même période).
Je ne pense pas cependant à avoir à vous expliquer que des films du MCU sont plus porteurs auprès du public de Disney+ que la version live de Pinocchio, Peter & Wendy ou les nouvelles versions de Cheaper by the dozen et Home Sweet Home Alone. C’est la force de la marque Disney ou Marvel, celle de pouvoir conjurer un public immédiat et instantané pour ses sorties.
De façon complètement paradoxale, on pourrait presque utiliser le cas de Disney, désormais bien ancré dans l’exploitation ciné de ses films, pour répondre définitivement à la question de savoir si les films originaux marchent mieux en streaming que les films passés par le ciné. On sait que c’est le cas pour les films Pixar (en attendant de voir ce que Vice-Versa 2 fera sur Disney+ ceci dit). Les films Disney Animation qui ont le mieux marché sur Disney+ sont aussi ceux qui ont le moins bien marché au ciné (Encanto et Raya and the Last dragon, deux flops ciné pour des raisons différentes). Quant à Marvel, si Disney décidait demain de sortir le prochain film du MCU directement sur Disney+, je pense, sans trop m’avancer, qu’il ferait des scores d’audience en streaming aux US bien plus élevés que Thor: Love & Thunder et Black Panther 2 (disons… 35% plus élevés ?)
Mais Disney reste engagé dans les sorties en salles aux US parce que c’est une société encore les deux mains prises dans les circuits de distribution traditionnels (le ciné, le physique/VOD et la SVOD), trois secteurs qui ont des destinées financières très différentes.
Les revenus ciné sont aléatoires et reposent sur des succès, chose qu'aucun studio ne peut garantir (sauf à s’appuyer sur des suites, remakes et reboots, la stratégie de Bob Iger 2.0). Ceux de la VOD et du physique sont en chute nette depuis des années (avec quelques hausses quand des films cartonnent au ciné) et les revenus de Disney+ sont en augmentation, pas forcément parce que le nombre d’abonnés augmente mais parce que le prix des abonnements augmente, testant toujours un peu plus l’amour de la marque des fans de Disney.
Chapek avait décidé de sacrifier un peu les lignes rouge et bleue dans un contexte de COVID au profit de l’évolution de la ligne verte tandis que Bob Iger est plutôt parti sur l’envie de faire revenir les lignes rouge et bleue au niveau de 2019 tout en faisant augmenter la ligne verte en dépensant moins d’argent dans les programmes originaux pour Disney+, surtout côté films. Il est encore un peu tôt pour voir si ça marchera, même si les succès de Vice-Versa 2 et Deadpool & Wolverine sont encourageants.
L’histoire récente de Prime Video pourrait être résumée à deux articles de presse. D’un côté “Amazon s’engage dans l’exploitation ciné aux Etats-Unis et compte sortir 12 à 15 films par an” en 2022. Et de l’autre “Amazon sort le remake de Road House directement sur Prime, contre l’avis de son réalisateur” en 2024. En effet, quand Road House est sorti directement sur Prime en mars 2024, beaucoup d’observateurs du secteur se sont demandés pourquoi Amazon n’en avait pas fait une sortie ciné et ma réponse ne vous étonnera pas : le service avait besoin d’une victoire en streaming, d’un film qu’il pourrait mettre en avant comme étant un succès planétaire, ce que fut Road House, avec notamment 19,3M d’EVCs sur ses 14 premiers jours aux US, le deuxième meilleur lancement d’un film Amazon.
Les films sortis au ciné de ce Top 20 sont assez disparates, avec de vraies sorties Amazon qui ont buzzé à leur sortie au ciné pour au final ne pas faire florès en streaming (comme AIR ou Saltburn) et des films Universal en deuxième fenêtre payante, avec Jurassic World Dominion et Ticket to Paradise. Cela ne veut pas dire que tous les films originaux Prime sont des succès loin de là. Cela veut surtout dire qu’Amazon décide désormais de sortir en salles des films qui ne feraient pas trop bouger les lignes en streaming pour se garder les plus porteurs pour son service de streaming, comme Road House, The Idea of You ou même Candy Cane Lane, un film de Noël avec Eddie Murphy qui aurait pu cartonner au ciné mais qu’Amazon a préféré se garder pour Prime. Chez Amazon, la différence de visionnages entre le Top 5 des films originaux et le Top 5 des films de ciné est plutôt de l’ordre de 70%, soit le double de la moyenne.
Deux tests auront lieu avant la fin de l’année. Le premier est la sortie de Challengers avec Zendaya dans quelques jours sur Prime suite à sa sortie ciné et le deuxième est la sortie au ciné cet hiver du blockbuster Red One avec Dwayne Johnson et surtout ses performances en streaming sur Prime par la suite. Peut-être inversera-t-il la tendance (ou pas) ?
Les autres services
Les autres services SVOD ont des audiences plus faibles, mais chacun permet de tirer quelques enseignements pour répondre à la question.
Hulu
Du côté de chez Hulu, les principaux succès des dernières années sont des films direct-to-streaming comme Prey et Flamin’ Hot. Poor Things s’est bien défendu mais pas The first omen et A haunting in Venice qui font des scores moindres que les succès originaux.
Le film que j’attends le plus et qui apportera peut-être quelques réponses supplémentaires est Alien: Romulus, un film qui devait d’abord sortir directement sur Hulu (à l’époque de Bob Chapek) dans la lignée d’un Prey avant de pivoter vers la sortie ciné (sous l’ère Iger). Deux films du même univers, l’un sorti directement en streaming, l’autre sorti au ciné… Je mise une petite pièce sur environ 30% de visionnages de moins pour Alien: Romulus par rapport à Prey étrangement, même si le fait de pouvoir regarder des programmes Hulu sur Disney+ désormais peut éventuellement changer la donne et réduire cet écart en lui ouvrant un plus grand public.
Apple TV+
Apple TV+ est l’autre streamer qui s’est senti pousser des ailes et qui a décidé de sortir quelques films au ciné en 2023 pour tenter de faire en sorte que lesdits films acquièrent une autre stature, rapportent de l’argent et fonctionnent mieux sur leur service. Las, les résultats ne sont pas forcément au rendez-vous puisque The Family Plan et Spirited (deux originaux) ont sans doute fait mieux sur le service que Killers of the Flower Moon (un film sorti au ciné).
On peut aussi mentionner le fait qu’Argylle, un flop ciné retentissant d’Apple n’a pas vraiment marché non plus en streaming, avec des chiffres obtenus grâce à des leaks parce que le film n’a jamais figuré dans le Top 10 Nielsen. Enfin, on a aucun chiffre du tout pour la sortie de Napoléon sur Apple TV+ aux US en mars 2024, l’autre pari d’Apple en salles de ciné. 700 millions de dollars pour ces trois films pour seulement 430 millions de dollars de revenus au box-office mondial (enlevez la part des exploitants de ciné, des studios partenaires, les coûts marketing et de sortie et il doit rester pas plus de 50 millions de dollars pour Apple), des titres de presse peu flatteurs sur les flops d’Apple très visibles et un impact quasi-nul sur les visionnages en streaming.
Les conséquences ne se sont pas faites attendre : Apple a apparemment décidé de sortir beaucoup moins de films en salles, à commencer par Wolfs avec George Clooney et Brad Pitt qui sortira finalement directement sur Apple TV+ fin septembre. De quoi peut-être percer dans le Top 10 Nielsen, même si le dernier film original Apple TV+ en date, The Instigators avec Matt Damon et Casey Affleck n’a pas réussi à y figurer, malgré son exclusivité sur Apple TV+. Le problème est peut-être ailleurs pour le service.
Max
Sur ce graphique des principales sorties sur Max, je n’ai pas mis Avatar 2 et Free Guy puisqu’ils sont sortis en simultané sur Max et un autre service (Hulu et Disney+ respectivement), sans que l’on sache la part de chaque dans les visionnages. Mais j’ai mis les deux films direct-to-streaming pour lesquels on a eu des chiffres de Nielsen, à savoir Wonder Woman 1984 (un cadeau exceptionnel de Nielsen qui ne communiquait pas à l’époque sur HBO Max) et Father of the Bride, une rom-com tout ce qu’il y a de plus générique et qui est resté une semaine dans un top Nielsen.
Le cas de Wonder Woman 1984 est super intéressant parce qu’il marque le point de départ du projet popcorn, la décision par WarnerMedia de sortir tous ses films de 2021 en simultané au ciné et sur HBO Max, son nom à l’époque. Mais de tout ce line-up (qui comprenait Dune, Matrix 4, Godzilla vs Kong etc), nous n’avons aucun chiffre de Nielsen qui ne référençait pas officiellement HBO Max à l’époque. Le seul chiffre dont on dispose est celui des trois premiers jours de Wonder Woman 1984 et comme vous pouvez le constater, ils sont bien plus grands que tous les autres films ciné sortis depuis sur le service. Certes, c’était une époque assez particulière, Noël 2020 mais quand même. Si ça se trouve, tous les films du Project Popcorn en 2021 ont fait des chiffres bien plus élevés que tous ceux du classement que j’ai établi en début d’article et on n’en sait rien parce qu’ils sont dans la zone d’ombre de Nielsen. Pour Wonder Woman 1984, le film aurait sans doute été dans le haut du classement après 14 jours avec potentiellement plus de 30M d’EVCs.
Et ce n’est pas le seul film dans ce cas puisque si on regarde les chiffres de l’institut SambaTV qui a fourni des mesures d’audiences pour les films du Popcorn Project, il n’est pas impossible du tout que, si Nielsen avait partagé les chiffres d’audiences en streaming de Mortal Kombat, The Suicide Squad, Godzilla vs. Kong, The Matrix Resurrections et Space Jam: A New Legacy, on aurait eu des films totalisant minimum 14 millions d’EVCs en 14 jours selon Nielsen, ce qui seraient des records pour Max.
Paramount+
Dans mon dataset, Paramount+ n’a réussi qu’à percer dans le Top 10 Nielsen que grâce à ses films de cinéma, avec un classement assez éloigné des prouesses au box-office cinéma, puisque IF fait mieux que Transformers: Rise of the Beasts et Top Gun: Maverick.
Il faut dire aussi que dans le même temps, Paramount+ n’a pas vraiment sorti beaucoup de films originaux (et c’est aussi l’un des services ajoutés en dernier par Nielsen), même si certains auraient pu percer chez Nielsen, comme Good Burger 2 et Finestkind avec Jenna Ortega.
En train d’être racheté par le boss de Skydance, on verra à l’avenir si Paramount+ est prêt à sortir un “gros” film directement en streaming ou bien s’il se contentera d’être le service de la première fenêtre payante des films Paramount (ce qui est bien aussi).
Peacock
Terminons enfin par Peacock qui a encore une stratégie plutôt différente des autres puisque le service d’Universal/Comcast s’octroie des sorties simultanées au ciné et sur Peacock sur certains films et ça semble marcher !
Outre l’OVNI The Super Mario Bros Movie qui est hors-compétition, les deux films les plus regardés sur la période de lancement sont deux films sortis en simultanéité ciné/streaming, à savoir Five nights at Freddy’s et Halloween Ends. Les deux films sont aussi considéré comme des succès au ciné ce qui semble démontrer qu’il n’y a pas de cannibalisation entre les deux modes de sortie.
Le seul film original du lot dans mon dataset, à savoir Genie avec Melissa McCarthy a fait un bon démarrage mais il a disparu trop vite du Top 10 pour se rendre compte de sa trajectoire sur le long terme. Celle-ci semble en tous cas aller plus haut que Oppenheimer et Cocaine Bear (qui ont exactement la même trajectoire de visionnages sur leurs premiers jours, ce que je trouve assez marrant et vient rappeler que les performances au box-office ont finalement assez peu d’importance dans les performances en streaming).
Les succès au box-office sont-ils automatiquement des succès en streaming ?
Justement, y-a-t-il une corrélation entre succès au box-office américain et succès en streaming ? Pour répondre à cela, j’ai établi le classement des 56 films de ciné les plus regardés en streaming entre janvier 2021 et juillet 2024 en ajoutant le box-office nord-américain à droite :
Sur le papier, il est vraiment difficile de dire qu’il y a une corrélation entre succès en salles et succès en streaming, avec des succès et des flops ciné à chaque étage de ce top. Mais quand on organise autrement ces résultats, en privilégiant les grandes familles de films et surtout les services sur lesquels ils sont sortis, un autre paysage apparait.
Commençons par les films Disney Animation sortis au ciné. Soyons clairs dès le début, les 4 films sont des flops au ciné mais leurs visionnages en streaming respectent l’ordre de leurs performances sur Disney+.
Sorti au moment où les salles reprenaient lentement vie, on peut imaginer que Raya and the Last Dragon aurait fait mieux dans un contexte plus propice. Nous avons déjà abordé les films Pixar sortis au ciné et eux aussi respectent l’ordre de passage du box-office nord-américain, pas forcément dans les mêmes grandeurs.
Du côté des films du MCU, c’est un peu plus le bazar avec Guardians of the Galaxy 3 et Doctor Strange and the Multiverse of Madness ayant comparativement moins réussi sur Disney+ qu’au ciné.
Une chose est sûre : pas grand monde ne voulait voir The Marvels, ni au ciné ou sur Disney+ puisque le film bat péniblement la performance de Black Widow en “gratuit” sur Disney+ (le film est sorti en Disney+ Access, c’est à dire en simultané ciné et payant sur Disney+ avant d’être mis à disposition de tous les abonnés et c’est les chiffres de cette exploitation que j’ai gardé).
Terminons chez Disney avec les autres films Disney qui ne rentrent dans aucune des catégories précédentes. On peut dire que Haunted Mansion a mieux réussi en streaming qu’au ciné tandis que Jungle Cruise aurait sans doute fait bien mieux au ciné aux US dans un contexte de sortie plus favorable (donc pas pendant la pandémie de COVID). Mais pour le reste, l’ordre est relativement respecté.
Du côté du deal Sony-Netflix, on a là une comparaison tout à fait intéressante puisque le film ayant le mieux réussi au ciné du lot n’est pas celui qui a eu le plus de visionnages sur Netflix, à savoir Spider-Man: Across the Spiderverse. Si je devais émettre une hypothèse, c’est que l’animation “pour adultes” (avec de gros guillemets) marche moins que les films live sur Netflix ou les films d’animation pour enfants, même si Lyle, Lyle Crocodile n’a pas forcément mieux marché sur Netflix.
A part ça, le star power de Tom Hanks en streaming est bien visible, avec la seconde place de A man called Otto, derrière Uncharted qui est le film live action Sony le plus regardé au ciné et en streaming parmi les autres films du deal Sony.
Enfin, si on regarde maintenant les films Universal Animation qui arrivent en deuxième fenêtre sur Netflix, on voit que l’ordre est quasi-respecté (sauf peut-être pour Sing 2).
Du côté des films ayant eu une sortie simultanée sur deux services à la fois (Max et un service appartenant à Disney), Avatar 2 a fait de meilleurs scores que Free Guy, mais pas forcément à l’échelle de leur différence au cinéma.
Restons chez Max où il ne semble pas y avoir de cohérence intrinsèque entre performances en streaming et performances au ciné. Le supra-carton Barbie a eu un cheminement bizarre chez Nielsen, n’étant présent dans le Top que pour sa 1ère, 3ème et 5ème semaine, m’obligeant à estimer un chiffre à 14 jours mais là non plus, pas de record d’audience à priori.
On peut se poser la question pour les films live s’il n’y a pas aussi un phénomène de “trop-plein” suite à un succès énorme au ciné. Le fait que Barbie ne soit que 42ème du top général ou que sur Paramount+, Top Gun: Maverick, le gros succès de 2022 se fasse battre par IF et Transformers: Rise of the Beasts montrent peut-être qu’un énorme succès en salles amenuise la portée du film une fois qu’il arrive en streaming, parce qu’il a déjà été vu par beaucoup de monde quelques semaines ou mois auparavant.
C’est un écueil pourtant évité par Super Mario Bros: The Movie qui a réussi à être un carton aussi bien au ciné qu’en streaming sur ses deux fenêtres d’exposition, sur Peacock et Netflix par la suite.
Terminons avec un aperçu des performances en streaming des 100 films ayant le plus rapporté d’argent au box-office US entre 2021 et juillet 2024. L’occasion de se rendre compte que si nous disposons de beaucoup de chiffres d’audience, il y a encore plein de zones d’ombres. Ainsi, le film qui a le plus rapporté au ciné ces 3 années dernières est sorti en streaming sur Starz, pour lequel nous n’avons aucune donnée d’audiences.
Pour près d’un tiers des films de ce Top 100, nous n’avons aucune visibilité sur leurs performances en streaming. Soit parce qu’ils sortent sur des services non comptabilisés par Nielsen, soit parce qu’ils sont sortis avant que Nielsen ne les comptabilise officiellement. Dans tous les cas, cela fait beaucoup d’inconnus, même si nous pouvons quand même établir quelques conclusions, selon moi.
Conclusion
Que retenir de toute cette longue étude et des chiffres dévoilés ici ? Quelques points me semblent importants.
Les films sortis directement en streaming font en règle général bien mieux que les films sortis au ciné. Que ça soit sur Netflix, Disney+, Hulu, Amazon Prime, Apple TV+ et potentiellement Max, tous les films les plus regardés sur leur période de lancement sont des films sortis directement en streaming. Les films sortis directement en streaming les plus regardés sont 30 à 40% plus regardés que les films de ciné les plus regardés en streaming.
“Content is king, but distribution is queen”. Cet adage se vérifie ici aussi puisque l’on voit aussi que les chiffres de visionnages d’un film de ciné qui sort sur Netflix ne seront pas tout à fait les mêmes que celles d’un film de ciné qui sort sur Hulu. Netflix est d’ailleurs le seul service qui parvient notamment à faire plus de visionnages en deuxième fenêtre qu’en première fenêtre, comme c’est le cas pour les films d’animation Universal qui font plus de visionnages sur Netflix que sur Peacock, quand dans le même temps, les films live d’Universal font plus de visionnages sur Peacock que sur Amazon Prime en deuxième fenêtre. Il y a donc aussi une prime à la plateforme de distribution. Les utilisateurs restent sur leur service de prédilection auquel ils ont accès et regardent ce qu’il y a dessus. Ils ne vont pas automatiquement sur d’autres services parce que des films de ciné sortent dessus. Et on peut donc se demander si les conclusions de cette analyse ne seraient pas un peu différentes si, par exemple, les plus gros succès ciné sortaient en première fenêtre sur Netflix. Seuls 12 des 100 plus grands succès au ciné des 3 dernières années sont sortis en première fenêtre sur Netflix, dont seulement 4 sur les 50 premiers (et encore, sur ses 4 là, seuls 2 sont sortis à l’heure où j’écris ces lignes). Avoir des films qui ont cartonné au ciné, c’est bien mais les allier à une plateforme qui a de l’engagement de la part de ses abonnés, c’est encore mieux. Au point de battre en visionnages les films sortis directement en streaming ? Sans doute pas mais il n’y a plus qu’à espérer que Sony sorte bientôt un énorme succès au ciné pour voir ensuite sa performance sur Netflix en première fenêtre.
Les films inédits permettent plus d’engagement et sont donc un axe important dans une stratégie en streaming. Si les films inédits en streaming sont plus regardés, ils génèrent donc plus d’engagement de la part des abonnés. Par conséquent, axer un pan d’une stratégie d’un streamer sur des films inédits (ou en sortie simultanée ciné/SVOD) parait essentiel et c’était toute la thèse de Jason Kilar, ex-patron de WarnerMedia et à l’origine du Popcorn Project avant d’être débarqué suite à la fusion avec Discovery. Pour réussir en streaming, il faut investir massivement en programmes pour acquérir des abonnés et gagner de l’engagement pour générer des revenus massifs et les films en font partie. Cet investissement massif dans les contenus, on l’a vu en 2021 chez Disney sous Bob Chapek et chez WarnerMedia sous Jason Kilar, avec des résultats assez probants puisque la croissance d’abonnés des deux services à l’époque était assez forte. Puis en juin 2022, la grande Correction Netflix a eu lieu, mettant un coup d’arrêt à cet investissement. Chapek a été débarqué, Kilar aussi et Disney+ comme Max se sont retrouvés dans le no man’s land évoqué par Jason Kilar : investir un peu dans les contenus mais pas à un niveau de dépenses (et d’audace) nécessaires pour générer des profits importants sur le long terme, prompts à effacer tous les gains potentiels d’une sortie ciné. Un seul service de streaming est resté relativement sur cette ligne et c’est Netflix. Pas de pivot vers les sorties ciné (il y en a même moins maintenant qu’auparavant, en tous cas pour les sorties limitées) comme ont pu le faire Disney et Warner. Depuis juin 2022, Netflix a ajouté 57 millions d’abonnés payants quand Disney+ en a ajouté 1,7 millions. Le prix de l’immobilisme et de ne pas aller all-in dans le streaming.
C’est tout pour cette étude. Si vous avez des questions, n’hésitez pas à commenter !
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