Quelle mesure pour parler des audiences SVOD ?
Les services SVOD se cherchent mais semblent se diriger vers une sorte de consensus.
Il y a encore un an, nous avions peu de données sur les audiences en SVOD. Maintenant, nous en avons trop, de différentes sortes et qui suivent différentes méthodologies, chacune avec leur défauts et leurs avantages. Petit tour d’aperçu de ce dont on dispose actuellement et vers quelle mesure commune on semble s’acheminer.
Nielsen
Méthodologie : Visionnages exprimés en millions de minutes regardées du lundi au dimanche sur les téléviseurs d’un panel de foyers et résultats publiés chaque semaine, mais avec quatre semaines de retard.
Territoire : US seulement.
Avantages : Permet de comparer des services de streaming entre eux puisqu’ils intègrent Disney+, Hulu, Amazon Prime, Netflix et Apple TV+. Mais pas encore HBO Max ou Paramount+. [MàJ d’octobre 2022 : HBO Max est désormais compté]
Inconvénients : Nielsen ne fait pas de distinction entre les saisons d’une même série. Ce qui rend l’analyse des lancements de nouvelles saisons très difficile (pour ne pas dire impossible puisque les rewatchs des saisons précédentes sont comptés dans le même chiffre. Et cela peut être des chiffres importants, j’y reviendrai dans un futur post). Ils font aussi des erreurs, qu’ils rectifient parfois, mais qui ne donnent pas forcément confiance sur leur méthodologie. L’autre limite est qu’ils ne comptent que les visionnages sur téléviseurs.
SambaTV
Méthodologie : Samba analyse les visionnages de 28 millions de téléviseurs connectés à travers le monde et extrapole des résultats au niveau d’un territoire précis. Ils diffusent ensuite leurs résultats dans des rapports trimestriels et/ou dans des communiqués de presse pour des chiffres d’un week-end. A noter qu’on ne sait pas ce que SambaTV entend par “visionnages”.
Territoire : Les US mais aussi le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Australie.
Avantages : Le panel est bien plus important que pour Nielsen. Ils étudient Paramount+, Hulu, HBO Max, Disney+, Netflix et Apple TV+.
Inconvénient : C’est toujours sur téléviseurs uniquement. Les chiffres publiés sont assez espacés dans le temps et surtout, ils changent souvent de périmètre. Parfois, ils sont exprimés sur les 3 premiers jours, les 4 premiers jours, la première semaine, le premier mois, le second mois ou même le troisième mois. Ce qui rend l’analyse et la comparaison assez difficile. Tout comme Nielsen, quand ils parlent de séries, il ne font pas de distinction entre les saisons.
Le Top 10 Netflix
Méthodologie : Tous les visionnages d’un programme ou d’une saison sur tous les terminaux dans tous les territoires concernés par Netflix du lundi au dimanche, exprimés en millions d’heures.
Territoire : Le monde entier, sauf la Chine, la Russie, la Corée du Nord, la Crimée et la Syrie.
Avantages : Tous les terminaux et tous les territoires sont concernés. Les saisons d’une même série sont comptabilisées de façon distincte. Le site met à disposition tous ses chiffres en téléchargement sous divers formats.
Inconvénients : L’heure vue favorise de facto les programmes les plus longs. Les télénovelas colombiennes et leurs 200 épisodes par saison sont notamment très bien représentées alors qu’en terme d’audience, elles sont sans doute bien moins regardées. Un Top 10, c’est bien chiche. Il serait intéressant d’avoir des mesures au-delà de ce Top 10. Ou même une répartition par grande aire géographique. Le fait que les chiffres viennent de Netflix lui-même peut aussi jeter le doute sur leur véracité mais ceux-ci sont audités par une boite indépendante donc je leur laisse le bénéfice du doute. Forcément aussi, ils ne s’intéressent pas aux programmes des autres services SVOD donc les chiffres ne peuvent être comparés qu’entre eux.
Mise à jour du 20 juin 2023 : Netflix a mis à jour la méthodologie de son Top 10 et favorise désormais les “views”, à savoir les heures vues divisées par la durée des programmes, pour mieux prendre en compte les écarts entre eux.
eStats/Médiamétrie
Méthodologie : Je mentionne cette mesure dans la mesure où elle est notamment utilisée par Arte pour communiquer sur ses audiences sur son application et site web Arte.tv donc c’est un point de référence. Sa méthodologie est assez complète :
Elle peut aussi fournir un descriptif bien plus fourni des résultats, notamment de complétion d’un stream etc. Hélas, ces chiffres sont généralement pas publiés et ceux qui le sont sont généralement assez faillibles.
Avantages : Les chiffres sont sans doute très intéressants mais ils ne concernent qu’un site en particulier à chaque fois. Utiles donc pour les boites mais pas forcément pour des observateurs extérieurs.
Inconvénients : Il n’y a pas de Top 10 publié de façon hebdomadaire sur ce qui est regardé en streaming en général. Pire, quand c’est partagé volontairement par une chaine TV, cette mesure est généralement peu détaillée. Exemple :
Quand Arte annonce 7 millions de vues pour la S2 de “En thérapie”, il faut comprendre “7 millions de clics de visiteurs étant restés minimum 10 secondes sur une vidéo de la série qui comprend 35 épisodes”. Le même spectateur qui regarde les 35 épisodes sera donc compté 35 fois différentes. A noter aussi que la plateforme Arte TV propose l’autoplay, à savoir que les épisodes s’enchainent automatiquement après n’importe quelle vidéo que vous avez regardé dessus. Si vous ne faites pas gaffe pendant plus de dix secondes, vous êtes compté comme 1 visionnage.
Les premières mesures utilisées par Netflix
Quand Netflix a commencé à dévoiler ses chiffres, il utilisait le nombre de comptes abonnés qui terminaient un programme à 70% minimum, les “completers”. Mais si vous étiez dix sur un même compte à regarder tel film en entier, vous n’étiez compté qu’une fois. Netflix a ensuite décidé de parler en “starters”, à savoir le nombre de comptes abonnés ayant lancé volontairement un programme au moins deux minutes. Mais même constat : cela ne disait pas si ces comptes avaient terminé un programme et si vous étiez à nouveau 5 profils différents sur le même compte à lancer le même film, vous n’étiez compté qu’une fois.
Avec l’heure vue, Netflix permet de prendre en compte les différents visionnages sur un même compte mais on perd au passage le nombre de completers ou même de starters. Cette dernière était bien pratique quand même pour mesurer l’attrait d’un programme. Il faut cependant remarquer que quand Netflix communique auprès des producteurs de ses programmes, il leur dévoile le nombre de completers et de starters, en plus des heures vues, après 14 et 28 jours.
Quelle mesure choisir donc ?
Les streamers commencent à se rejoindre sur le fait de parler d’heures vues. Disney notamment a commencé à communiquer dessus avec “Encanto” ou bien “Turning Red” (sans donner de chiffres précis. Pour l’instant). Amazon Prime s’y est mis aussi mais vraiment une seule fois et sans être bien précis. Ce qui est attirant dans cette mesure, c’est qu’elle permet de donner des chiffres sans entrer dans le plus important, à savoir le taux de complétion. Est-ce que ces 200 millions d’heures vues d’un film de deux heures veut dire que 100 millions de foyers l’ont regardé en entier ou bien que 200 millions de foyers n’en ont regardé qu’une heure ? Ces chiffres-là resteront le trésor des streamers.
En ce qui me concerne, et vous le verrez dans les prochains Netflix & Chiffres, je suis davantage attiré par l’EVC, à savoir l’Equivalent de Visionnages Complets. C’est à dire que je divise le nombre d’heures vues par le temps total du programme et cela me donne un chiffre arbitraire de visionnages complets, de la première seconde à la dernière. Je trouve que c’est plus parlant que les heures vues et cela permet aussi de mettre à égalité les programmes qui ont des durées différentes. Mais bien sûr, ce n’est pas non plus un bon reflet du nombre de “vrais” visionnages complets.
Dans les chiffres publiés par Netflix au cours des années, on a 4 exemples de films pour lesquels on dispose à la fois du nombre de starters, du nombre de completers et du nombre d’heures vues sur les 28 premiers jours d’exploitation, ce qui permet de calculer un EVC et de comparer tout ce petit monde.
Des résultats très divers donc. On remarque que “Bird box” notamment a sans doute été vu de façon complète par bien plus de personnes que son nombre de starters ou même de completers officiels sur ses 28 premiers jours. Comment est-ce possible ? Simple : si vous êtes 4 profils sur le même compte à regarder “Bird Box” (ou si vous regardez 4 fois le film pendant ses 28 premiers jours), vous n’êtes compté qu’une seule fois par la mesure des starters et des completers, mais vos 4 visionnages sont bien comptés 4 fois par la mesure des heures vues. C’est différent pour “The Irishman” qui a par ailleurs un nombre d’heures vues très important du fait de sa durée de presque trois heures.
Du côté des séries, on n’a qu’une seule saison qui regroupe ces trois chiffres : la S3 de “Stranger Things”. Sur ses 28 premiers jours, elle fut commencée par 67 millions de comptes, terminée à 70% par 64 millions de comptes pour un nombre d’heures vues équivalant à 78,7 millions de visionnages complets de la saison. A vous d’en tirer les conclusions que vous voulez !
C’est la première chose à accepter quand on parle d’audience SVOD : on ne saura jamais le nombre exact de téléspectateurs en SVOD. Parce que même si Netflix balançait tous ses chiffres de visionnages, même eux ne savent pas combien de personnes sont devant leur écran à un instant T. Il vaut mieux donc choisir une mesure qui nous fait sens et s’y tenir, en gardant bien à l’esprit les manques et ce que ces chiffres veulent ou ne veulent pas dire. Voilà une belle note d’intention pour cette nouvelle newsletter, vous ne trouvez pas ?