Pour une meilleure accessibilité de notre patrimoine cinématographique national.
L’arrêt du service SVOD FilmStruck doit nous interroger sur la meilleure façon de préserver l’histoire du cinéma pour les générations…
L’arrêt du service SVOD FilmStruck doit nous interroger sur la meilleure façon de préserver l’histoire du cinéma pour les générations futures. Et cela passe sans doute plus par une initiative nationale que privée.
Début novembre 2018, coup de tonnerre dans le petit monde cinéphile : le service SVOD FilmStruck, dédié exclusivement aux films de patrimoine ou classiques de tous les pays du monde, annonce devoir fermer ses portes à la fin du mois, dans le cadre d’une remise à plat de la stratégie OTT de sa maison-mère Warner, alors que celle-ci vient d’être rachetée par AT&T. Les cinéastes et cinéphiles du monde entier s’insurgent, lancent des pétitions mais au-delà d’une vague promesse de Warner de le voir renaitre d’une façon ou d’une autre au sein d’un méga-service SVOD Warner dans les mois/années qui viennent, tout cela n’aura sans doute aucun effet.
En France, le service fermera donc ses portes 6 mois après les avoir ouvertes et donné un aperçu de ce que pourrait être un service SVOD dédié aux films de patrimoine. Certes, il n’était pas parfait : une technique aléatoire, une accessibilité en berne (pas de support Chromecast notamment) et un faible catalogue au départ chez nous. Mais il avait le mérite d’exister et de proposer pour une somme modique un point de départ idéal pour quiconque voulait se faire une culture cinéma.
Pour autant, est-ce la tâche d’un acteur privé de se charger de la préservation du cinéma de patrimoine mondial ou national ? Il est souvent fait le reproche à Netflix ou Amazon de ne pas proposer d’anciens films classiques, comme s’il leur incombait cette tâche du fait de leur audience. Mais c’est aussi et surtout la résultante d’un marché des droits assez complexes et loin d’être anodin (pour ne pas dire peu rentable). FilmStruck avait la chance d’être adossé à une major emblématique d’Hollywood, sinon la plus emblématique, mais cela n’aura pourtant pas suffi à le sauver.
La situation actuelle.
A l’heure actuelle, quelle est la situation entre la VOD/SVOD et le film de patrimoine en France ? Il y a d’un côté des services VOD comme LaCinetek qui permet de louer/acheter des films datant d’avant 2000, des films cités par les plus grands réalisateurs du monde entier. Certains sont accompagnés de bonus ou d’archives pour éclairer le film en question. C’est ce qui se rapproche le plus en France de l’idée d’une Collection Criterion.
Il y a aussi Mubi qui lui propose un service SVOD à 7€/mois qui permet d’accéder à un catalogue de 30 films de toutes les époques et de toutes les nationalités. Plus qu’un site SVOD de patrimoine, il est davantage un service faisant la part belle aux films d’auteur/indépendants mais cela peut parfois recouper la thématique du patrimoine. A noter qu’il propose aussi un espace “Locations” permettant de louer à l’unité près de 90 films.
Les services SVOD généralistes comme FilmoTV, Netflix ou même
Amazon proposent eux aussi des films de patrimoine, mais ce n’est pas leur axe principal marketing pour engranger de nouveaux abonnés. Les plates-formes VOD que sont Orange, Google Play Store, iTunes et compagnie ont eux aussi de nombreux films de patrimoine, français ou étrangers, disponibles mais il faut avoir envie de les rechercher.
Enfin, je ne peux pas ne pas évoquer la zone très grise que représente Archive.org qui propose près de 4000 films américains, tombés (ou non) dans le domaine public aux Etats-Unis mais disponibles malgré tout en France par la magie d’Internet (et l’absence de geoblocking). Pour autant, il faudra se satisfaire de copies loin de la haute définition, sans sous-titres français.
Il y a enfin les éditions DVDs, les films diffusés à la TV sur les chaines gratuites et payantes etc.
A première vue, il serait déplacé de dire que les films de patrimoine ne sont pas trouvables. Ils sont disponibles un peu partout mais sont-ils pour autant accessibles ? C’est la grande question. J’ai tendance à penser qu’une offre par abonnement sur un service fonctionnel et pratique est beaucoup plus accessible que des films répartis sur des dizaines de sites privés différents pour un prix unitaire, sans réelle cohérence ou initiative identifiée de préserver le cinéma de patrimoine.
Une proposition.
C’est un fait, en France, on adore la réglementation quand il s’agit de films. On rajoute des fenêtres de diffusion, on contraint à des sorties ciné pour alimenter le système tout entier, on commence même à imaginer qu’il faudrait priver les plates-formes SVOD de leurs films exclusifs au bout de 2 ans pour ne pas que les films soient “emprisonnés”. C’est donc sur tout ça que je me suis basé pour imaginer un service SVOD qui permettrait une meilleure accessibilité du cinéma de patrimoine français tout en s’imbriquant dans un système déjà établi. Je précise français parce que c’est à mon sens là qu’on peut faire une vraie différence (et surtout là où une initiative publique a une vraie marge de manoeuvre). Laissez-moi donc vous présenter cette plate-forme nationale de cinéma de patrimoine français.
Pour faire simple, ce serait un Spotify du cinéma de patrimoine français auquel sont ajoutés automatiquement les films français XX années après leur sortie au cinéma.
Qui ? La première question à se poser est de se demander qui pourrait s’en occuper ? Il y a plusieurs acteurs possibles, entre le CNC, France Télévisions, l’INA, la Cinétek ou même la Cinémathèque Française. Dans l’idéal, ce serait même un mélange de tous. Le CNC apporterait un soutien financier ponctionné sur les entrées de cinéma, France TV apporterait sa visibilité, la Cinétek et la Cinémathèque Française ses connections avec le monde du cinéma, l’INA ses archives d’époque. On pourrait rêver que Molotov s’occupe de la partie technique mais ce ne serait sans doute pas le cas.
Comment ? Par quel miracle ces films arriveraient automatiquement sur cette plate-forme ? Dans mon idée, ce serait une clause dans les visas d’exploitation délivrés par le CNC pour une sortie ciné d’un film français, ou même dans les aides au scénario ou à la création des films. Quelle belle image : une aide du CNC serait synonyme automatiquement de préservation dudit film.
Quand ? Pour la durée au bout de laquelle le film serait dispo automatiquement sur cette plate-forme, j’ai imaginé une petite chronologie des médias dont le secteur cinéma est friand :
50 ans après la sortie cinéma : Tous les films français sortis au cinéma y sont automatiquement ajoutés.
C’est la règle à laquelle doivent se soumettre tous les films. Il existe cependant d’autres petits aménagements pour contourner les éventuels manques d’accessibilité.
10 ans après la dernière diffusion sur les chaines TV gratuites.
5 ans après la sortie ciné si le film ne fait l’objet d’aucune exploitation en physique ou d’aucune diffusion à la TV.
Les durées sont indicatives mais il faut bien comprendre qu’il n’est pas question ici d’empiéter sur les fenêtres traditionnelles d’exploitation des films mais d’accélérer le processus si ces fenêtres ne sont pas utilisées. Par ailleurs, (et pour changer de la chronologie des médias), si des ayants-droits veulent y faire figurer dessus leurs films avant les périodes indiquées, ils en auraient le droit. Par contre, une fois disponible, il ne serait pas possible de le retirer, toujours dans une optique de créer une base de films français de patrimoine.
Combien ? La question de la rémunération des ayants-droits, du financement de la plate-forme et du prix de l’abonnement est primordiale.
Pour la rémunération des ayants-droits, j’imagine que le service fonctionnera en revenue-sharing, comme un Spotify : ceux-ci sont rémunérés au visionnage effectif avec un forfait de base. Pour ne pas empiéter sur les locations VOD à l’acte ou l’exploitation physique, les ayants-droits peuvent ne fournir qu’une version SD de leurs films à cette plate-forme et réserver la HD pour leurs autres exploitations. Cela permettrait aux utilisateurs de découvrir des films via le service en SD puis d’acheter un film qui leur aurait plu en HD par la suite, quel que soit le support, physique ou dématérialisé.
Pour le financement de la plate-forme, une portion de la taxe prélevée par le CNC sur les tickets de ciné et destinée à la création de nouveaux films devrait être allouée à cette plate-forme. La création de nouveaux films est aussi importante que la préservation des anciens. De la même façon, on peut imaginer aussi que la redevance pourrait servir à financer cette plate-forme d’utilité publique.
En ce qui concerne le prix de l’abonnement, j’imagine deux versions, toujours sur le mode de Spotify : une gratuite avec pubs (pas plus de 2 par film) intégralement reversées aux ayants-droits des films et l’autre payante (5€/mois max) sans pub mais avec ce forfait de base reversé aux ayants-droits par visionnage.
Pour qui ? Elle s’adresserait en priorité aux Français bien entendu. Mais dans le meilleur des cas, cette plate-forme serait accessible mondialement. Elle serait utilisée pour montrer aux yeux du monde la richesse de notre cinéma en brisant les frontières numériques.
La conclusion de cet article est que l’on peut se lamenter que les géants du cinéma ou de la SVOD ne proposent pas plus de films de patrimoine ou on peut aussi se demander ce que l’on peut faire pour y remédier en tant que nation, avec les outils dont nous disposons. C’est un devoir national selon moi, pas une tâche que l’on ferait porter artificiellement à un acteur privé. Mais dans le ciné français actuellement, j’ai l’impression qu’on se préoccupe davantage de financer toujours plus de films qui iront ensuite peupler un désert-cimetière que de la préservation et de l’accessibilité des films d’autrefois. Pas certain que ça soit une bonne chose et il y a sûrement matière à faire les deux dans “le meilleur secteur ciné du monde”.
Je m’occupe de FilmsdeLover.com, le site dédié aux films d’amour et comédies romantiques, et du podcast “Netflixers” dédié à l’actualité de la SVOD et de Netflix en particulier. En cas de questions ou commentaires, n’hésitez pas à venir me causer sur Twitter.
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