Netflix en France : six mois après, un premier bilan.
Le géant américain est arrivé en France il y a six mois. Passage en revue de ce qui a marché et moins bien marché depuis le 15 septembre…
Le géant américain est arrivé en France il y a six mois. Passage en revue de ce qui a marché et moins bien marché depuis le 15 septembre 2014.
De nouvelles pratiques dans le domaine de la SVOD.
S’il n’a pas encore révolutionné les habitudes de consommateurs en France (et ne le fera peut-être jamais), Netflix a au moins importé en France sa vision de la SVOD, une vision envisagée comme un service premium à un prix mini, une vision peu partagée par ses principaux concurrents français jusque là.
Le paradoxe de Netflix France sur les séries (et même sur les films), c’est la dichotomie entre de “vieilles” séries dont les dernières saisons manquent à l’appel et la diffusion en H+4 d’épisodes de nouvelles séries en provenance directe des Etats-Unis comme pour “Better Call Saul” ou “The returned”. Des épisodes de séries TV disponible en France quelques heures seulement après leur diffusion aux Etats-Unis et ce, sur un service de SVOD, c’est une pratique qui n’existait pas avant l’arrivée de Netflix en France. Cela existait en VOD ou sur des chaines payantes comme OCS, mais pas encore dans le domaine de la SVOD française, petit club composé de Canalplay, JookVideo et FilmoTV.
Et je ne parle même pas des ajouts fréquents de séries Netflix Originals en diffusion simultanée dans le monde entier comme “Marco Polo” en décembre, “Unbreakable Kimmy Schmidt” il y a quelques jours, et “Bloodline” et “Daredevil” dans quelques semaines, puis “Sense8", “Between”, “Narcos”, “Marseille” etc. Un planning de diffusion de nouvelles séries à un rythme effréné qui ne devrait en plus pas faiblir dans les semaines, mois et années qui viennent.
Sur les films aussi, Netflix France a montré des signes d’une originalité que l’on espérait sans forcément y croire. J’y ai déjà d’ailleurs consacré un article. Films récents et inédits, américains et européens, disponibles en même temps voire quelques semaines après leur sortie aux Etats-Unis, autant de façon pour le géant américain de contourner la chronologie des médias. Ici aussi Netflix joue la carte du service premium, une attitude qui était absente chez ses concurrents français, par manque d’envie et de moyens mais qui a tout de même suscité quelques vocations, Canalplay ayant sorti récemment le dernier film “Dragon Ball Z” ou “Save the date” directement sur sa plate-forme.
Ces pratiques de diffusion sont nouvelles pour la SVOD en France et il faudra encore quelques mois pour voir si cela plait au public français mais c’est encourageant. La principale force de Netflix, ce n’est pas son budget démentiel, c’est surtout qu’il se focalise uniquement sur la SVOD sans avoir se préoccuper de marcher sur telle ou telle plate-bande appartenant à une société-soeur plus importante comme Canalplay avec Canal+ ou TF1 avec Jook. Le but de Netflix est simple : démocratiser et imposer la SVOD. Il s’en donne les moyens via un budget d’acquisition de contenus gargantuesque de 5 milliards de dollars.
Catalogue : Peut (beaucoup) mieux faire.
Cela tombe bien car Netflix France va devoir continuer à aligner les billets pour développer son catalogue de films et de séries au-delà de ses productions maison. Le principal pétard mouillé lors de l’arrivée en Netflix fut la découverte par le public de son catalogue assez réduit à la mi-septembre. Ted Sarandos a beau rappeler que “Day One est le pire jour pour évaluer la qualité d’un catalogue”, Netflix France doit désormais séduire à nouveau les déçus de la première heure et cela passe aussi par un catalogue plus fourni, à l’image de celui de Netflix US. Selon Todd Yellin, responsable produits chez Netflix, ce catalogue français devrait doubler cette année et doubler encore l’année suivante, bien aidé par l’ajout de toutes les créations Netflix Originals et autres achats de films comme le futur “Beasts of no nation” de Cary Fukunaga, récupéré par Netflix au nez et à la barbe des distributeurs du monde entier pour la bagatelle de 12 millions de dollars. De bon augure donc même si pour l’instant, le nombre de films dispos augmente peu mais de façon régulière.
Au-delà des promesses, la marche des 1800 films pour septembre est encore lointaine et Netflix va devoir mettre les bouchées doubles. Certains analystes prédisent que celui-ci attendra la sortie de “Marseille” à la fin de l’année pour donner un nouveau coup de collier à cette offre.
Reste la question du nombre d’abonnés. S’il est très peu probable que Netflix France ait déjà atteint les 510 000 abonnés comme l’annonçait il y a quelques semaines le New York Times, ce nombre ne revêt en soi aucune importance à l’heure actuelle pour le géant américain. Certes, il lui faut des abonnés. Or Netflix a bien compris qu’il ne s’agit pas d’un sprint mais d’un marathon et il commence à peine à trouver son rythme de croisière. Ses résultats au dernier trimestre 2014 montrent des bénéfices en hausse malgré toutes les dépenses effectuées pour son lancement européen en France, Allemagne et Belgique. Ces difficultés d’implantation toutes relatives sont d’ailleurs une bonne nouvelle pour l’abonné Netflix français actuel puisque cela garantit que le géant américain va continuer à développer son offre pour engranger de nouveaux abonnés, au lieu de se reposer sur ses lauriers s’il avait écrasé la concurrence trop rapidement.
Et ses concurrents dans tout ça ?
Depuis septembre, JookVideo fait profil bas. Pas d’annonce particulière sauf au point de vue technique. Son catalogue séries et films semble en avoir pris un coup par contre, avec une offre série famélique par exemple. FilmoTV se concentre lui sur son offre fortement éditorialisée de films sans séries TV qui n’a que peu à voir avec Netflix mais grâce à laquelle il peut justement tirer son épingle du jeu et continuer à exister sur un segment ultra-spécifique. Reste le cas Canalplay et ses 599 000 abonnés au 31 décembre 2014.
Comme toujours avec Canalplay, je suis très partagé par leur stratégie et communication. Ils annoncent un deal avec HBO mais les séries en question sont disponibles sur des périodes très courtes (4 mois pour “The wire”), pas forcément compatibles avec le principe de la SVOD. Ils ajoutent des webséries — ou “digital series” de quelques épisodes de 5 à 10 minutes- et chaque grosse série qui disparaît se retrouve chez Netflix par la suite, comme “Lost” récemment.
Le nombre de films dispos sur Canalplay est également en chute libre. En avril 2014, j’en comptais à peu près 1220 tandis qu’actuellement, il n’y en a pas plus que 850 selon la même méthode de calcul (même si le compte Twitter de Canalplay continue de vanter les “2000 films” de la plate-forme, chiffre déjà délirant l’an dernier et qu’il l’est encore plus maintenant). Alors Canalplay communique sur autre chose : de nouvelles playlists de films, des ajouts de films de séries Z, des “digests” de films condensés sur 2 minutes (parce que “l’avenir est aux vidéos courtes” (sic) mais ça rajoute une vignette au catalogue donc c’est bon à prendre).
Son vrai avantage concurrentiel, c’est la possibilité de télécharger les films pour les regarder hors-connexion mais encore faut-il avoir un catalogue de films digne de ce nom à vouloir télécharger.
C’est encore là tout le paradoxe de Canalplay, que j’avais abordé en détails ici. Il devrait pouvoir compter sur le catalogue de séries Canal+ pour se démarquer de Netflix (pourquoi pas les premières saisons de “Braquo”, “Engrenages” etc.) mais il n’en propose actuellement aucune. Manque d’argent, manque d’envie, autres impossibilités contractuelles ? Aucune idée mais si ce verrou ne saute pas, on se demande quelles options s’offrent désormais à lui pour conserver son avance sur Netflix et incarner une véritable alternative. Il avait été question en septembre de programmes humoristiques faits maison et on devrait les voir arriver pendant l’été 2015. La bataille de la SVOD ne fait finalement que commencer avec au moins un vainqueur présumé : l’abonné, objet de toutes les attentions.
Mon expérience.
J’ai été abonné quelques mois à Canalplay en 2013, qui à l’époque avait une série que je voulais voir (“Cold case” pour ne pas la nommer). Je m’étais finalement désabonné en constatant que la technique n’était pas au top, que les versions françaises étaient trop présentes au détriment des versions originales et que le choix de films n’était déjà pas super. Je suis abonné à Netflix depuis six mois et je l’utilise quasiment tous les jours. Pas pour regarder les séries made in Netflix (pas encore), mais pour rattraper toutes les séries des années précédentes que j’ai loupées ou pour les films des années 90, les documentaires et les films inédits en règle générale. Les séries Netflix Originals ne risquent pas de disparaître du catalogue donc je les garde pour plus tard.
Il y a par contre un secteur dans lequel Canalplay dame le pion à Netflix, c’est celui des films romantiques (secteur qui m’intéresse particulièrement vu que je m’occupe de FilmsdeLover.com) et je le reconnais volontiers. Meilleur choix, avec des films inédits comme notamment “Save the date” que je veux voir depuis des plombes. Un bon point pour eux donc mais qui n’est pas suffisant pour me faire changer de crèmerie.
Du point de vue du client de SVOD (et SVOD uniquement) que je suis, la vision de Netflix sur ce que doit être ce secteur (vision soutenue par ses actes depuis 6 mois) me convient davantage qu’un Canalplay mou du genou qui ne veut pas trop faire bouger les lignes pour préserver Canal+. En plus d’être une bataille de contenu, la bataille de la SVOD en France est donc avant tout une bataille idéologique : entre le statu quo pour les acteurs français et une certaine idée du futur de la distribution de films et séries en France imposée par un acteur étranger. Aux abonnés de choisir leur camp.
Mes autres articles sur le sujet de la SVOD en France :
“Pourquoi la chronologie des médias ne sera probablement jamais à l’avantage de la SVOD en France”.
“L’étrange “logique” du catalogue de films de Netflix France”.
Je m’occupe de FilmsdeLover.com, le site dédié aux films d’amour et comédies romantiques et de Direct-to-VOD, le Tumblr des films qui sortent directement en VOD.
Retrouvez tous mes articles sur le futur de la distribution de films en cliquant ici.
Contact : frederic[at]filmsdelover.com