L’étrange “logique” du catalogue de films de Netflix France.
Avant son arrivée en France, certains concurrents de Netflix criaient à l’invasion de BurgerFlix et de son catalogue de films américains…
Avant son arrivée en France, certains concurrents de Netflix criaient à l’invasion de BurgerFlix et de son catalogue de films américains par centaines qui risquaient de déplaire au public français amateur de films d’auteur. 4 mois plus tard, ce catalogue montre pourtant des signes d’originalité, au risque de ne justement pas plaire au plus grand nombre.
En août 2014, dans mon billet “Des films très récents sur Netflix France ? C’est légalement possible”, je mettais en avant que la grande force de Netflix selon moi était avant tout son réseau mondial (et notamment américain) qui lui permettait d’être en contact direct avec les distributeurs et producteurs avant même que ceux français puissent avoir leur mot à dire dans le cadre de sorties mondiales de films sans passer par la case ciné en France. Les faits m’ont donné raison (j’y reviendrai) et ce n’était pas quelque chose de difficile à prophétiser.
J’espérais par contre secrètement sans vraiment y croire que Netflix s’aventurerait dans d’autres directions, comme celles des films sortis directement en VOD sur le Net ou bien des films indépendants européens inédits en France et une nouvelle fois, je n’ai pas été déçu. Mais cela peut-il plaire au grand public, cible forcément privilégiée de Netflix France ?
Des salles de ciné US aux salons français.
Début novembre 2014, Netflix France a frappé un grand coup en sortant “The disappearance of Eleanor Rigby” et “St. Vincent” quelques semaines seulement après leurs sorties ciné aux Etats-Unis en septembre. A l’époque, la presse française et les commentateurs du secteur n’ont pas saisi (ou pas voulu saisir) à mon sens le changement énorme que cela constituait pour le secteur SVOD français, envisagé chez Netflix comme un service Premium et non comme la cinquième roue du carrosse de la distribution comme chez ses concurrents. L’initiative a été rabaissée avec des arguments comme “Aucun distributeur n’en voulait en France, Netflix a récolté les miettes”, “Ils ont fait un flop aux Etats-Unis” ou “Ce sont des Direct-To-VOD glorifiés” (même si “St. Vincent” a récolté 40M$ au box-office et Bill Murray a obtenu une nomination pour son rôle dedans aux Golden Globes, mais passons.).
Je veux bien croire qu’aucun distributeur français n’en ait voulu mais cela ne constitue pas une preuve de la qualité ou non d’un film, bien au contraire comme j’ai pu l’apprendre depuis quelques années. Cela prouve juste que ce n’était pas des films assez bankable pour ces mêmes distributeurs et qu’ils n’ont pas voulu prendre le risque financier de les sortir. Les critiques envers cette initiative sont en tout cas symptomatiques d’un état d’esprit français qui voudrait qu’une sortie directe en VOD ou DVD soit forcément réservée aux films de seconde zone, pas assez bons pour mériter la bonne vieille salle de cinéma, même si c’est une sortie dans une seule salle. C’est oublier, comme je le disais plus haut, que la distribution de films en France est très largement dictée par des impératifs économiques qui n’ont que très peu à voir avec la qualité des films.
Netflix a pensé différemment et cela lui a permis de proposer des films de cinéma très récents, sélectionnés dans divers festivals pour “The disappearance…”, en SVOD directement pour son public français, quelques jours après leur sortie ciné aux Etats-Unis, en coupant l’herbe sous le pied au piratage en plus. Quelle cible pour ce type de sorties ? Difficile à dire puisque ces films étaient attendus principalement par des cinéphiles, mais pas forcément le grand public en tous cas, malgré les têtes d’affiches connues.
Du cinéma d’auteur, en veux-tu, en voilà.
Je surveille assez régulièrement les nouvelles additions au catalogue de Netflix sur Allflicks et l’une des tendances que je vois émerger est l’ajout de films américains très typés (horreur, comédie…) mais aussi de films d’auteur à l’extrême opposée de ce spectre.
En janvier 2015 notamment, le catalogue a ajouté 5 films d’Aki Kaurismaki et “Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieurs” d’Apichatpong Weerasethakul, film indonésien de 2h14 et Palme d’Or à Cannes en 2010. Dans la catégorie “Films français” figurent des films tellement peu connus que je n’ai jamais entendu parler. Difficile donc de réduire Netflix ici à ce gigantesque vidéoclub rempli de vieilleries américaines comme ont essayé de le décrire ses détracteurs au début. Il y en a certes, mais ce catalogue est beaucoup plus varié qu’il n’y parait. Reste à savoir la cible de ces films d’auteur ? Les cinéphiles exigeants sans doute avant le grand public.
De l’inédit européen aussi.
Netflix France semble aussi profiter de ses liens avec ses autres services européens, notamment scandinaves, ce qui lui a permis de sortir dernièrement l’ovni suédois “L.F.O.” alors que le film était inédit en France malgré une sélection au festival “Mauvais Genres” de Tours en 2014.
Quel avantage pour Netflix France de rendre ce film a priori complètement barré disponible chez nous ? Est-ce que son algorithme magique lui a prédit que ce serait un bon ajout ? Quelle est la cible de ce genre d’ajouts si ce n’est encore une fois un public très averti et forcément curieux de cinéma (scandinave) ? Ces ajouts qui semblent échapper à toute logique de rentabilité ou d’attractivité auprès du grand public sont en tous cas l’un des points forts du service selon moi.
Du Direct-To-VOD à la SVOD.
Comme je m’occupe aussi de Direct-To-VOD, un petit site sur lequel je parle de ces films qui décident de sortir directement en VOD sur Internet en s’affranchissant de tout schéma de distribution “traditionnel” (c’est à dire attendre le bon vouloir d’un distributeur ou éditeur français), je ne m’attendais pas à voir débarquer sur Netflix France certains films dont j‘avais parlé. Et pourtant, oui, Netflix fait aussi son marché parmi les films indépendants qui ne sont pas considérés comme de “vrais films” en France parce que n’ayant pas eu de sortie ciné ou DVD en France par le biais d’un éditeur/distributeur bien de chez nous qui en aurait acheté les droits.
C’est nouveau cette considération pour les DTVOD mais ça me plait que le public français puisse découvrir les excellents documentaires “Indie Game : The Movie” (sur des équipes de développement indépendantes de jeux vidéo), “Mudbloods” (sur les vraies équipes de Quidditch, le sport imaginaire de la saga Harry Potter), “Craigslist Joe”, “Girl rising” ou bien encore le film multi-primé “Sleep Dealer” par le biais de cette plate-forme qui se veut ouverte au grand public et ce, en se plaçant directement en tant que distributeur/éditeur de la sortie française. Cela est-il forcément au goût de celui-ci ? Impossible de le savoir, Netflix ne dévoilant aucun chiffre d’audience des différents films mais s’ils continuent sur cette lancée, c’est que ça doit marcher (ou être rentable parce que ces films seront toujours moins chers que des films de catalogue) et c’est tant mieux.
De l’imprédictibilité de l’algorithme…
L’algorithme de Netflix, cet être virtuel omniscient sujet de tous les fantasmes dans le secteur de la SVOD… Pourquoi choisit-il tel film ? Pour quel public ? Qui peut vraiment avoir envie en France de regarder les 5 saisons de “Pee-Wee’s Playhouse” diffusées entre 1986 et 1990 ? Aucune idée, mais c’est cette imprédictibilité même qui fait tout le sel d’un service SVOD comme Netflix, roulette russe par excellence qui bouscule les pratiques du secteur.
Tout cela rend d’autant plus difficile à entrevoir de quoi sera fait le catalogue de films de Netflix France à l’avenir tant les sources qui le composent sont diverses et variées, entre les films inédits américains, les films inédits européens, les “petits films” français, ceux disponibles en VOD directement sur Internet et enfin les sorties “traditionnelles”.
Au 10 février 2015, Netflix comptait une centaine de films datant de la période 2012–2015, donc théoriquement soumis à la chronologie des médias. Or, Netflix la contourne habilement en faisant son marché parmi tous ces films indépendants inédits en France (et donc pas soumis à la chronologie des médias) et parvient ainsi à proposer des films récents à ses abonnés, là où Canalplay ou JookVideo ne comptent que sur des films récents inédits proposés par des éditeurs/distributeurs français. Se passer des éditeurs/distributeurs français, étape pas franchement nécessaire, permet aussi sans doute à Netflix de débourser moins cher pour ces films.
La vraie question est de savoir si tous ces films permettront à Netflix d’attirer un nombre d’abonnés suffisant pour pérenniser son activité en France. Pour l’instant, l’équilibre entre les films connus et ceux beaucoup moins connus semble respecté mais comme tout équilibre, il ne satisfait entièrement ni les amateurs de films grand public ni les amateurs de films indépendants. Le public idéal pour Netflix doit donc se trouver dans l’entre-deux, chez les amateurs de bons gros blockbusters comme de petits films plus confidentiels.
Netflix a par ailleurs promis que son catalogue de films doublerait après sa première année. Comme le montre le graphique ci-dessus, il reste encore un peu de chemin à parcourir pour atteindre les 1900 films fin 2015 mais les sources d’alimentations sont nombreuses et Netflix a un appétit d’ogre.
Je m’occupe de FilmsdeLover.com, le site dédié aux films d’amour et comédies romantiques et de Direct-to-VOD, le Tumblr des films qui sortent directement en VOD.
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Contact : frederic[at]filmsdelover.com