Les films qui sortent directement en VOD à la recherche d’une nouvelle identité (et légitimité).
Les films qui sortent en Direct-To-VOD ont mauvaise presse en France mais cela va peut-être changer, sous l’impulsion d’acteurs…
Les films qui sortent en Direct-To-VOD ont mauvaise presse en France mais cela va peut-être changer, sous l’impulsion d’acteurs internationaux et nationaux.
Je suis le secteur du Direct-To-VOD depuis un petit moment déjà parce que celui-ci répond à la question de la fracture cinématographique en France, à savoir les différences d’accessibilité des films en salles selon que l’on habite dans une grande ville ou à la campagne. J’habite à la campagne et le Direct-To-VOD, c’est mon ciné à moi. Donc plus les films dispos en France en Direct-To-VOD sont récents, moins j’ai l’impression d’être en décalage complet avec le rythme infernal des films qui sortent semaine après semaine dans les salles et que mon ciné ne passera jamais.
Le problème est qu’en France, le Direct-To-VOD est très mal vu, dans un système ciné qui ne peut envisager le film de “cinémaaaa” que par le prisme d’une sortie en bonne et due forme dans une salle de ciné, et ce même si c’est une sortie limitée à une salle de ciné. Le pire film du monde qui sort dans une seule salle en France sera toujours mieux considéré qu’un excellent film sorti directement en VOD. C’est dommage mais c’est comme ça. Le Direct-To-VOD n’a pas sa place dans les médias ciné et les quelques initiatives dans ce domaine sont automatiquement rabaissées.
En octobre 2014, Netflix France mettait à disposition sur sa plate-forme “The disappearance of Eleanor Rigby” et “St Vincent”, respectivement trois semaines et une semaine après leurs sorties au ciné aux Etats-Unis. Les experts du secteur ont eu tôt fait de banaliser cet événement en taxant Netflix de “réinvention du DTV” et ça l’est peut-être si on met de côté le côté dédaigneux de ce terme de DTV.
Un DTV, c’est généralement un film oublié des distributeurs qui finit par se retrouver quelques mois, voire années, plus tard dans les mains d’un éditeur vidéo qui va tenter de se faire un peu d’argent en le sortant en DVD et en VOD en capitalisant sur un acteur, un thème, d’éventuelles récompenses ou sur de gros monstres et de grosses poitrines sur la jaquette. C’est la norme depuis des années mais l’avènement d’Internet rebat sérieusement les cartes et les frontières du secteur du DTV ont largement évolué, comme le prouvent les sorties de “Eleanor Rigby” et de “St Vincent” sur Netflix, ainsi que les achats de films de ce dernier depuis quelques semaines comme “Beasts of no nation”, “6 years”…
Un océan d’écart, une conception différente.
“Beasts of no nation” montre bien toutes les différences de perception entre les Etats-Unis et la France sur cette notion du Direct-To-VOD. Netflix l’a acheté 12 millions de dollars pour pouvoir le sortir dans quelques salles aux Etats-Unis puis dans la foulée sur sa plate-forme partout dans le monde. Netflix espère même pouvoir récolter quelques nominations aux prochains Oscar avec ce film, alors qu’il sortira en France en Direct-to-SVOD. Un film a priori Oscarisable qui sort comme un “vulgaire” DTV, c’est quelque chose que ne peut pas concevoir le secteur ciné français. Si Netflix sort ce film, c’est forcément qu’aucun distributeur français n’en voulait. Et ça doit donc être pourri. Aucune revue ciné ne le critiquera. Ce n’est pas du cinéma. Il ne peut pas y avoir de bons films qui passent entre les mailles des distributeurs et éditeurs français, c’est impossible. Impossible.
Cela pourrait sembler ironique mais c’est exactement la réaction que le secteur ciné français a eu lors des sorties de “St. Vincent” (qui a eu une nomination aux Golden Globes) et “Eleanor Rigby”. Le fait qu’une plate-forme VOD ou SVOD puisse devenir aussi éditeur/distributeur en raflant des films au nez et à la barbe de ceux déjà bien établis sur un territoire était inconcevable il y a quelques années mais voilà qui donne en tous cas une nouvelle attractivité aux Direct-To-(S)VOD. Et l’initiative commence à faire des petits.
En France, quelques avancées.
En France, le distributeur ciné le plus proactif dans ce domaine est sans conteste Wild Bunch qui a sorti l’an dernier “Welcome to New York” avec Gérard Depardieu directement en VOD pour 7€ pendant le Festival de Cannes. Déjà à l’époque, les arguments “film pourri”/“personne n’en voulait”/”il se serait rétamé en salles” étaient sortis, comme si le secteur avait peur que cette mode prenne et qu’elle se développe. 200 000 locations plus tard, Wild Bunch a annoncé cette semaine le lancement de son service “e-Cinéma” qui va distribuer directement en VOD une demi-douzaine de films dans les mois qui viennent. Des films attendus comme “99 Homes” ou “Sinister 2" comme autant de tests grandeur nature pour le distributeur.
Pour Wild Bunch par contre, pas question de parler de Direct-To-VOD comme j’ai pu le constater sur Twitter. C’est du “e-Cinéma”.
Face à l’encombrement des salles, Wild Bunch souhaite désormais offrir à de vrais films de cinéma un modèle de distribution alternatif, avec l’objectif d’en faire de véritables événements et de les amener au plus large public possible.
Vous aurez noté l’emploi de “vrais films de cinéma”, par opposition aux autres films en Direct-to-VOD. C’est là que l’initiative de Wild Bunch trouve ses limites parce qu’elle intègre en son sein les mêmes préjugés qui causent du tort aux Direct-To-VOD. Wild Bunch se pose ici en évangélisateur de la populace habituée à se gaver de mauvais DTV alors que lui va amener de “vrais films de cinéma”. Or, des excellents DTV dignes de “vrais films de cinéma”, j’en connais des tonnes et je n’ai pas attendu Wild Bunch pour les découvrir. D’autre part, cette initiative manque de punch au niveau des délais. “What we do in the shadows” prévu pour cet été est sorti en juin 2014 en Nouvelle-Zélande et en novembre 2014 en Angleterre. “Un incroyable talent” prévu pour l’automne est lui sorti en novembre 2013 en Angleterre puis en octobre 2014 aux Etats-Unis gratuitement sur Yahoo. Si l’idée derrière cette initiative est bonne, la mise en place est encore bien trop lente sur quelques films.
Une lenteur que n’ont pas d’autres acteurs du secteur du DTVOD et dont j’ai pu prendre conscience ces dernières semaines. En effet, certaines plates-formes françaises de VOD voient de plus en plus le DTVOD comme une opportunité de couper l’herbe sous le pied au piratage et de diversifier leur offre en se calant sur les attentes du public. Sur le modèle des séries TV dispos en H+24 en VOST, il y a une fenêtre pour celles-ci de se positionner sur des sorties de films assez rapidement après la sortie US. MyTF1VOD l’a fait récemment en partenariat avec AfroStream sur “Top Five” de et avec Chris Rock, deux mois et demi après sa sortie ciné US. Pour ce genre de sortie, il faut être réactif et bénéficier de relais auprès d’une communauté cible pour porter à leur attention la sortie de tel ou tel film susceptible de les intéresser. Cette flexibilité ne vient pour l’instant que de services VOD et SVOD comme le montrent Netflix et MyTF1VOD.
Aux Etats-Unis, vers des sorties mondiales.
Le terme de Direct-To-VOD n’est absolument pas vulgaire quand je le dis. Au contraire. Comme je le disais plus haut, j’ai découvert d’excellents films en DTVOD sans devoir attendre que des distributeurs français ne s’y intéressent. L’an dernier, “In your eyes” écrit et produit par Joss Whedon (M. Avengers-Buffy-Serenity, excusez du peu) est sorti mondialement en VOD sur Vimeo on Demand, avec des sous-titres anglais, français et chinois. Quelques mois plus tôt, c’était “Some girls” avec Adam Brody et Zoe Kazan qui était sorti de la même façon. Je pourrais aussi évoquer “Camp Takota” sorti sur VHX avec des sous-titre anglais et français ajoutés par la suite.
Les films indépendants aux Etats-Unis n’hésitent plus désormais à sortir directement en VOD, parfois dans le monde entier, parfois avec des sous-titres français. Et c’est peut-être de là que viendra le vrai renouveau du Direct-To-VOD et le danger pour les éditeurs français. Des équipes de films, à la source même, en éliminant tous les intermédiaires qui ralentissent le processus. Lors d’une conférence au festival SXSW 2015, le réalisateur-producteur-scénariste-acteur Mark Duplass a rappelé à quel point la VOD était une bénédiction pour les réalisateurs indés. Ce genre de témoignage peut faire boule de neige et pousser une nouvelle génération de réalisateurs US vers le Direct-To-VOD et peut-être vers des sorties mondiales de leurs films. C’est en tout cas ce vers quoi je les pousse personnellement, soit en écrivant des articles ou en les harcelant sur Twitter. Parfois ça marche, parfois non.
Comme quand cette semaine j’ai eu la plaisante surprise de voir que “Song one”, le dernier film d’Anne Hathaway était disponible mondialement sur Vimeo on Demand. J’avais du mal à y croire mais il était bien là, je pouvais le louer, l’acheter, sans geoblocking. Je l’ai loué, regardé et j’en ai parlé sur mon site. Or, cinq jours plus tard, le film n’était disponible que pour les Etats-Unis. Sony France doit en effet le sortir en Direct-to-VOD en juillet (!) prochain et a donc rappelé à l’ordre le distributeur US qui n’avait aucun droit de le proposer pour le monde entier. En tant que consommateur, je n’avais aucun moyen de savoir que les droits du film avaient été vendus à un éditeur français. Je ne pouvais me fier qu’à la compétence du distributeur US. Pas de bol, il était en tort. Mais j’ai pu voir le film. Et le payer. Même si ce fut “illégal” pendant quelques jours du coup. Cela montre toute la complexité du DirectToVOD et ses droits territoriaux à l’heure d’Internet. Ceux qui voudront voir “Song one” en France devront attendre juillet prochain pour l’ouverture de ses droits imposés par le vendeur US.
Qu’on se le dise, le principal problème du Direct-To-(S)VOD en France est que les films sortent malgré tout encore bien trop tard. Et ce n’est qu’en améliorant ce point, et non en changeant de nom, que le secteur du Direct-To-VOD gagnera ses lettres de noblesse et qu’il sera mieux considéré. La balle est dans le camp des services VOD/SVOD, éditeurs et distributeurs français mais aussi dans celui des équipes de films US qui décident de plus en plus de se passer d’eux. Du moment que cela permet de réduire les écarts de sortie, je n’ai rien contre.
Je m’occupe de FilmsdeLover.com, le site dédié aux films d’amour et comédies romantiques et de Direct-to-VOD, le Tumblr des films qui sortent directement en VOD.
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