Les 8 semaines qui ont transformé Vodkaster.
Seul service véritablement disrupteur dans le morne paysage de la VOD française, Vodkaster a pourtant opéré ces dernières semaines un…
Seul service véritablement disrupteur dans le morne paysage de la VOD française, Vodkaster a pourtant opéré ces dernières semaines un virage radical pour se sauver, au risque de tout perdre. Retour sur cette transformation en trois actes.
Le 6 mai 2014, Vodkaster lançait en grande pompe son service VOD maison avec un concept que je trouve toujours génial : envoyez à Vodkaster vos DVDs dont vous ne vous servez plus, ceux-ci seront numérisés et ajoutés à votre bibliothèque numérique. Vous pourrez alors les regarder en ligne sur tous vos appareils connectés, les revendre pour alimenter votre cagnotte et acheter d’autres DVDs que vous regarderez en ligne etc. Ce concept était un peu complexe à expliquer mais dans la pratique, il était simple et tout bonnement génial. J’ai moi-même acheté plus de 150 films et séries en deux ans, en ai revendu sans doute autant au gré des bonnes affaires et des envies. Pendant deux ans donc, Vodkaster a fonctionné sur ce concept sans rencontrer a priori de réticences de la part des studios qui voyaient pourtant d’un mauvais oeil ce concept d’occasion numérique en vase clos sans reversement aux ayants-droits. Promos flash, lecture déportée dans VLC, meilleure stabilité, le système a été continuellement amélioré entre 2014 et 2016 et c’était carrément plaisant à utiliser.
Acte I : Le lancement de MovieSwap (8 mars 2016).
J’ai déjà évoqué le projet MovieSwap dans cet article mais son lancement le 8 mars est le premier acte de la lente mutation de Vodkaster. Son concept est encore plus génial : les membres du monde entier mettent à disposition des DVDs et ils peuvent se les échanger gratuitement entre eux pour les regarder dans un tournoiement sans fin de films par le biais du numérique et de la technique perfectionnée par Vodkaster durant deux ans. C’est en gros un système SVOD mondial dont le catalogue est alimenté par ses membres et les DVDs qu’ils ont acheté. En parallèle se lance une campagne de financement participatif sur Kickstarter dont le but est de rassembler 35 000$ minimum. Le buzz fait le reste et MovieSwap est mentionné dans des articles du monde entier, de Slate à Wired en passant par Europe1 etc.
En dix jours, 3500 personnes participent à la collecte et la cagnotte s’élève déjà à 65 000€, quasiment le double du montant demandé. L’équipe de Vodkaster s’envole même pour Austin afin de représenter la France en compagnie d’autres start-ups françaises lors du festival South by Southwest. Tout semble aller comme sur des roulettes pour MovieSwap, qui multiplie les incitations à partager toujours plus le projet sur Internet à travers un système de récompenses. A ce moment-là, je suis encore très confiant même si je ne peux m’empêcher de lire aussi les commentaires sur les articles américains parlant de MovieSwap détaillant comment les majors vont sans doute s’en mêler pour mettre un terme à cette initiative.
Acte II : MovieSwap est annulé (12 avril 2016)
Sans aucun signe avant-coureur, la campagne MovieSwap est annulée le 12 avril 2016 dans un article de blog publié sur Vodkaster.
En réunissant près de 5.000 soutiens, MovieSwap se place dans le top 400 des campagnes les plus populaires de l’histoire de Kickstarter (sur plus de 100.000 campagnes en tout, oui, nous avons compté !).
Ces résultats ne sont toutefois pas à la hauteur des attentes de nos investisseurs, sans qui l’existence de MovieSwap est impossible, même avec votre mobilisation. Pour se lancer dans cette aventure un peu folle et déployer MovieSwap dans le monde entier, il nous faut en effet investir plusieurs millions de dollars. Nos investisseurs ont considéré qu’à moins de 10.000 backers, signe d’un engouement phénoménal et mondial, le pari était trop risqué.
Faute de financement, nous ne pouvons vous garantir que MovieSwap pourra sortir de terre dans le temps imparti. Nous préférons donc annuler cette incroyable campagne.
Cette annonce prend les backers de court et surtout ceux qui avaient compris le potentiel disrupteur de MovieSwap, moi y compris. A l’époque, je partage mon ressenti dans les commentaires de l’article en revenant sur 4 points précis :
Quatre choses me viennent à l’esprit :
1/ C’est dommage de ne pas avoir affiché clairement l’objectif de backers dès le début. Si vous vouliez 10 000, fallait indiquer 10 000, pas 5000.
2/ Je peux comprendre que les investisseurs aient été frileux devant un si “faible” nombre de backers mais rien n’empêche à priori le lancement de MovieSwap sur le territoire français uniquement pour commencer et tester le concept aussi bien techniquement que dans l’accueil du public. Vous avez déjà l’infrastructure technique, physique, les membres, 1645 contributeurs français prêts à être vos “cobayes” sur une beta française, donc pourquoi ne pas y aller sur une échelle plus restreinte et tenter de rentabiliser un peu les efforts investis dans la campagne ?
3/ Ce qui m’amène au 3ème point, à savoir que je ne crois pas la raison invoquée des 10 000 backers. Il est plus probable que Vodkaster ait reçu des coups de fil pas forcément aimables ou bien se soit rendu compte que le terreau légal sur lequel il basait MovieSwap était pas aussi stable qu’il le pensait. Cela a été ma crainte depuis l’annonce même du projet et dire que “les investisseurs ne nous suivent pas” sonnent mieux que “bon, on n’avait pas forcément consolidé comme il fallait le côté légal”. Dans tous les cas, baser l’annulation sur un manque d’engouement de backers, surtout après avoir dit que MovieSwap faisait partie des projets avec le plus de backers sur Kickstarter, c’est quand même douteux.
4/ Cela m’amène à mon dernier point, à savoir la pérennité de Vodkaster. J’espère que MovieSwap n’était pas un baroud d’honneur pour tenter de sauver un concept technique qui apparait comme n’étant pas assez rentable après deux ans, un va-tout à l’international pour sauver l’entreprise toute entière. J’utilise ce site comme service VOD très régulièrement et ça me ferait carrément ch*** de ne plus pouvoir le faire. Quelle évolution à partir de là ?
Bref, voilà les 4 points que je voulais soulever. Je trouve ça dommage, tellement dommage de n’avoir même pas tenté une beta à minima pour le territoire français. Expérimentez MovieSwap sur nous, on demande que ça.
Rétrospectivement, la principale erreur de Vodkaster pour MovieSwap a été de ne pas afficher clairement le seuil des 10 000 backers minimum. S’ils l’avaient affiché clairement dès le départ sans l’atteindre, personne ne leur en aurait voulu. Ils se seraient fixés un but sans l’atteindre et il n’y aurait pas eu cette incompréhension originelle qui a brisé quelque chose entre le site et sa communauté. Je ne comprends toujours pas d’ailleurs pourquoi cette décision a été prise. Dans mon point 4, je soulève déjà que ce qui m’inquiète le plus concerne la pérennité de Vodkaster qui jouait peut-être son va-tout avec MovieSwap. Sans lui, que lui reste-t-il comme perspectives d’évolution ? La réponse arrive deux semaines plus tard.
Acte III : Vodkaster cesse la vente de DVD (25 avril 2016).
C’est une nouvelle fois à travers un article de blog sur Vodkaster que le site communique une évolution importante : la fin des ventes et achats de DVD.
Vodkaster a besoin de gagner en notoriété : plus que jamais, nous avons besoin de relais commerciaux et de partenaires pour décupler cette tendance encourageante. Nous avons intensifié les discussions entreprises depuis quelques temps avec les FAI, les studios et des enseignes de grande distribution.
Avancer rapidement dans de telles négociations implique de faire des concessions importantes, et bien que la légalité de notre approche n’ait jamais été attaquée, ces partenaires considèrent notre approche très “disruptive” comme un obstacle aux discussions. Nous avons donc décidé, pour nouer rapidement des accords et reprendre de plus belle, de suspendre la vente de films (DVD) sur Vodkaster à partir du mercredi 27 avril.
Dans cette configuration, nous pourrons travailler sereinement avec les ayants droit à la construction d’un nouveau modèle qui devrait apporter de vrais « plus » et débloquer des fonctionnalités clefs que vous êtes nombreux à réclamer : faciliter l’accès à la TV (via ChromeCast par exemple), permettre la lecture hors connexion, améliorer le partage de films entre utilisateurs, faciliter la digitalisation des collections de DVDs, permettre l’intégration des Blu-Rays au catalogue, proposer des films et des séries en qualité HD
Cette mue s’appuie sur différents partenaires de distribution et prendra quelques mois à se mettre en place car elle nécessite une refonte totale de notre offre disc-to-digital et de notre boutique.
Sacrifier le passé pour miser sur le futur, tel pourrait être le titre de cet article de blog tant il tente de ménager la chèvre et le chou. D’un côté, les deux dernières années de Vodkaster sont effacées d’un coup d’un seul mais de l’autre, de belles promesses et évolutions sont annoncées. Mais si l’annulation de MovieSwap est passée relativement bien, ce changement de cap n’est pas du goût de tout le monde, forçant les fondateurs du site à préciser les pressions auxquelles ils ont affaire.
Vodkaster est donc prêt à sacrifier son concept initial de DVD/VOD pour se positionner sur le créneau plus traditionnel de la VOD définitive (EST) avec ou sans DVD via des systèmes techniques tels que l’UltraViolet ou autres DRM. Cela permettrait de rassurer les investisseurs de Vodkaster, les ayants-droits et de monétiser un réseau social de ciné qui cherche un modèle économique pérenne.
J’ai de gros doutes sur ce changement car à mon avis, la VOD et l’EST sont sur la pente descendante, à cause de l’essor de Netflix notamment mais aussi du piratage. Selon le CNC, le marché de la VOD en France a même rétréci en 2015 par rapport à 2014 (-0,3%).
Pire, les derniers services VOD à s’être lancé sur le domaine de l’EST avec UltraViolet, comme Nolim de Carrefour ou Wuaki ne figurent même pas dans le classement des 20 services VOD/SVOD les plus utilisés par les internautes français établi par le CNC.
Enfin, un autre aspect de cet arrêt de la VOD sur Vodkaster a irrité certains utilisateurs de la plate-forme. Malgré la revente des films désactivée sur Vodkaster, les membres conservent malgré tout le droit de revendre leurs DVDs, mais Vodkaster se chargera de les mettre en vente directement sur Amazon suivant une façon de faire qui n’est franchement pas du goût de tout le monde. Explications :
C’est ainsi que mon DVD de “Good Advice”, mis en vente à 1€ sur Vodkaster se retrouve à 7,59€ + 2,79€ de frais de port sur Amazon. Si le DVD trouve preneur, je recevrais bien 1€ mais Vodkaster se gardera la majeure partie du prix de vente, les commissions diverses une fois soustraites, comme rétribution de son rôle d’intermédiaire. Malgré toute la sympathie que j’ai pour Vodkaster, c’est le genre de pratiques qui peuvent être assez difficiles à accepter (voire même borderline légales) et taillader la confiance entre un site et sa communauté, quelque chose dont il est difficile de revenir.
Et maintenant ?
Je suis membre de Vodkaster depuis le 9 août 2010 et depuis 6 ans, j’ai vu ce site se chercher. Son concept initial tournait autour des scènes de films que l’on pouvait regarder, voire même couper directement dans certains films disponibles intégralement. Puis il y a eu le Moviequizz, qui permettait de jouer contre les autres membres. Puis les micro-critiques. Puis les listes. Puis le Moviequizz customisable qui a disparu complètement pendant des semaines avant de réapparaitre dernièrement en version simplifiée. Puis le concept des Ambassadeurs. Puis la VOD sélective en partenariat avec UniversCiné. Puis le système VOD/DVD. Puis l’idée MovieSwap. Et maintenant plus rien. Retour à la case départ.
Je n’ai aucun doute sur le fait que si Vodkaster se lance dans l’EST/VOD, il voudra le faire avec une approche différente des autres services déjà existants et que ce sera sans doute dans l’intérêt de ses membres, même s’il est difficile de concevoir un modèle économique pérenne qui soit à la fois à l’avantage des ayants-droits et à l’avantage des consommateurs. Les intérêts des uns entrent forcément en conflit avec les intérêts des autres et à ce petit jeu, ce sont toujours les ayants-droits et les studios qui gagnent car ils préfèrent se faire pirater leurs oeuvres plutôt que de mettre en place ou soutenir des modèles économiques différents.
J’ai davantage de doutes sur la façon dont Vodkaster met en avant son service depuis quelques années, et cette recherche du buzz à tout crin, sans discernement, à l’emporte-pièce. Je peux citer par exemple la façon dont a été conduite la campagne MovieSwap et son objectif caché, ou Notflix, une campagne fin 2014 pendant laquelle Vodkaster comparait leur système de VOD au service SVOD américain en se moquant des films dont il ne disposait pas, comparaison qui n’avait pas lieu d’être, les deux services étant complémentaires plus que concurrents. Il y a aussi eu les déclarations au vitriol tous azimuts contre les studios et les ayants-droits de la part de Cyril Barthet, chef de Vodkaster, déclarations dans lesquels on peut lire toute la frustration d’une équipe qui tente de détourner un gros paquebot de sa course vers un iceberg géant. Seulement voilà, ces déclarations jouent maintenant contre Vodkaster à l’heure où le service tente de s’allier avec ces entités, pour “changer le système de l’intérieur”. Je pardonne cette frustration parce que je la partage en tous points. Mais j’ai du mal à pardonner les approximations de communication et les raccourcis faciles.
J’espère simplement que les prochaines semaines permettront à Vodkaster de se réinventer une nouvelle fois, de renaître de ses cendres et de renouer avec sa communauté après quelques semaines qui laisseront des traces. Je veux y croire.
Je m’occupe de FilmsdeLover.com, le site dédié aux films d’amour et comédies romantiques et de Direct-to-VOD, le Tumblr des films qui sortent directement en VOD.
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Contact : frederic[at]filmsdelover[point]com