La géographie française du cinéma.
Plongée dans les disparités territoriales de l'accès aux films et aux salles.
Méthodologie : Tous les chiffres de cette newsletter proviennent de l’étude “La géographie du cinéma français en 2021” du CNC mais aussi des statistiques disponibles en Open Data sur le site du CNC.
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Comment ça, une édition sur le cinéma dans une newsletter consacrée à la SVOD ? Oui, je sais ! Mais le grand débat ces derniers temps, c’est la question de la désaffection du public envers les salles de cinéma, avec des chiffres au box-office en berne depuis la réouverture des salles. Plein de raisons sont pointées du doigt : le manque de curiosité du public qui se complairait dans sa flemme depuis le confinement, le prix des places, le manque de diversité des films proposés en salles, l’expérience en salles qui laisserait à désirer, la concurrence des plateformes et j’en passe. Autant de points (sans doute valides) auxquels je ne m’intéresserai pas dans cette édition.
J’ai dernièrement été interviewé pour un article sur ce sujet-là et la seule réponse que j’ai pu faire malheureusement, c’est que pour moi, depuis ma campagne normande, le cinéma est déjà mort. Ou en tous cas, il ne fait plus partie de mes habitudes. J’ai bien un cinéma dans mon petit village mais il ne propose qu’une séance toutes les deux semaines, toujours en VF, à 20h30. Les salles plus importantes sont à 20-25 kilomètres et celles-ci n’offrent aucune séance le mardi matin en semaine ou même le jeudi après-midi, les deux créneaux que j’ai de libre dans mon emploi du temps de jeune papa prof. Certes, les places plein tarif ne sont pas chères (8-9€) et on a accès techniquement aux salles mais sans séance à un horaire adapté à mes besoins, cela me fait une belle jambe. Et je ne parle même pas de l’accès aux films.
Mon cas n’est pas la norme certes mais il me parait important quand même de revenir sur ce qu’est le cinéma en dehors de Paris tant le sujet semble toujours pris par la lorgnette de la capitale. Un biais fréquent et pas que quand on parle de cinéma. Or, ce cas-là non plus n’est pas la norme, comme on va le voir grâce aux données du CNC dans leur dernière étude sur la géographie du cinéma.
L’accès aux salles.
En France, on trouve un écran de cinéma actif tous les 88 kms². 6 régions françaises sur 13 ont un meilleur “maillage” que cette moyenne avec l’Ile de France qui caracole en tête avec un écran de ciné tous les 10 kms² théoriquement. C’est le meilleur maillage (et de loin) par rapport aux autres régions françaises, avec la Corse et le Centre Val-de-Loire qui ferment la marche avec un écran de cinéma actif tous les 186 kms² et 280 kms².
Difficile, quand on parle de l’accès aux salles de ne pas mentionner qu’en plus d’un maillage conséquent, l’Ile de France est aussi sans doute la région la plus fournie en termes de transports en commun, ce qui permet en plus de se rendre facilement dans ces cinémas. Pour prendre un exemple, si je voulais aller à la salle de cinéma “normale” la plus proche de chez moi, à 20 kms, en utilisant les transports en commun, il faudrait que je parte en bus le matin à 7h20 pour revenir à 18h20 le soir. Pas d’autres lignes, pas d’autres moyens de transports, pas d’autres horaires.
Si on s’intéresse à la répartition géographique des multiplexes (ou les établissements de 8 écrans ou plus selon la dénomination du CNC), là aussi, la région Ile-de-France est la première en nombre pur (46, bien loin devant les 26 de Nouvelle-Aquitaine, seconde région dans ce classement) mais aussi si on rapporte ce nombre à sa superficie puisque l’on y trouve 1 multiplexe par zone théorique de 261 kms².
En France, 4,7% des communes sont équipées d’une salle de cinéma. Sans surprise, c’est à nouveau l’Ile de France qui arrive en tête de la comparaison régionale avec 1 commune sur 6 environ qui possède un cinéma mais la Provence-Alpes-Côte d’Azur n’a pas à rougir avec 14,5% de ses communes qui possèdent un cinéma.
L’accès aux films.
Pour avoir accès aux films, faut-il déjà qu’il y ait des séances pour voir ces films. En 2021, sur les 226 jours d’ouverture des salles, il y a eu 5 millions de séances environ proposées dans les cinémas français. Si on rapporte ce nombre dans les régions par le nombre de cinémas, on obtient le comparatif suivant :
La moyenne française s’établit à 11 séances par jour par ciné en 2021 et c’est peut-être la comparaison dans laquelle l’écart entre l’Ile de France et le reste du pays est le plus faible.
En 2021, en 226 jours d’ouverture, tous les cinémas d’Ile de France cumulés ont réussi à montrer 3488 films différents dont 447 films inédits, soit 15,4 films différents à l’affiche par jour en moyenne. Un foisonnement de l’offre disponible impressionnant mais vraiment à part par rapport aux autres régions françaises.
Une année normale voit généralement la sortie de 700 films inédits environ mais en 2021, 455 films inédits seulement sont sortis dans les salles obscures (notamment parce que les salles n’ont rouvert qu’en mai 2021). Aucune région n’a pourtant réussi à tous les montrer, en cumulant les programmations de tous les cinés.
Si on zoome un petit peu et qu’on part du principe qu’il y a 96 départements français en métropole, on se rend compte que sur ces 455 films, 53% ont eu un plan de sortie ne leur permettant pas d’être théoriquement à l’affiche d’au moins un cinéma de chacun des départements français la semaine de leur sortie. (Et il n’y a pas qu’une seule copie qui sort à Paris par exemple, donc c’est vraiment théorique).
Alors, certes, les films tournent par la suite et voient plus de cinémas, plus de territoires mais je n’ai pas encore trouvé de chiffres du CNC sur ça, sur combien de cinémas voyagent ces films au final. Je me souviens cependant de distributeurs sur Twitter me répéter que tous les films n’ont pas vocation à être montrés partout sur le territoire…
Conclusion
Si je fais un petit classement sur la base de ces 6 points de comparaison qui prennent en compte l’accès aux salles et l’accès aux films en donnant 1 point au 1er, 2 points au 2ème etc, la région Ile-de-France arrive en tête systématiquement sur chacun des points de comparaison.

En soi, ce n’est une surprise pour personne. Mais ce qui est important à se souvenir dans tout ce débat sur le cinéma français et l’exploitation, ce sont les ordres de grandeur. La région Ile-de-France, c’est :
un maillage géographique d’écrans de cinéma 12 fois plus dense que le reste de la France,
un maillage géographique de multiplexes 11 fois plus dense que le reste de la France,
un nombre de communes équipées en cinémas 3 fois plus important que le reste de la France,
un nombre de séances proposées 3 fois plus important que le reste de la France.
un nombre de films montrés quasiment 3 fois plus important que le reste de la France.
De fait, elle est la région qui a systématiquement le plus grand nombre d’entrées au ciné chaque année. Et on pourrait se dire que c’est parce qu’elle a le plus grand nombre d’habitants, qu’ils sont plus “cinéphiles” et curieux que le reste de la France mais dans les faits, on ne peut pas être curieux et cinéphile si on n’a pas accès aux films et aux salles. Ou plutôt, on peut l’être mais cela nécessite peut-être de ne pas aller au ciné et d’aller chercher des films là où c’est plus facile d’en trouver, sur les plateformes.
Dans les mots du CNC, 70% des Français ont un cinéma “près de chez eux”.
Avec ma petite salle de cinéma dans mon patelin de campagne et sa séance toutes les deux semaines, je dois faire partie de ces 70%. Et le fait qu’il existe est en soi un petit miracle. Mais dois-je m’en contenter ? Est-ce que la question de l’accès aux films et aux salles est réglée pour autant ? Je n’ai pas l’impression.
C’est pour cela que la question de l’avenir au sens large des salles est un sujet de débat qui me laisse relativement froid parce que je suis trop loin (géographiquement) pour en sentir la chaleur. Il ne s’agit pas de dire que les cinémas devraient disparaitre, loin de là. Ce sont des endroits magiques qui doivent continuer d’exister mais tant qu’on continuera notamment de prendre ce sujet par le prisme parisien (ou citadin) et que le secteur dans son intégralité continuera d’établir des “bonnes” et des “mauvaises” façons de découvrir un film en se plaçant toujours sur un plan idéologique, on ne répondra pas à la bonne question.
Parce que l’atout numéro 1 de la SVOD et des plateformes, contre lequel les cinémas ne peuvent structurellement pas s’aligner (en tous cas hors de Paris et des grandes villes), est que, que vous soyez en Corse ou à Paris, dans l’Est ou en Bretagne, l’accès aux films est uniforme partout sur le territoire, à la même date. Pouvoir regarder un film en même temps que les autres où que l’on soit en France ne serait-il pas aussi une certaine forme d’”expérience collective” qu’il faudrait relever ?
Allez, on se retrouve mercredi avec le programme normal de cette newsletter et l’étude des audiences Netflix de la semaine écoulée ! Bon début de semaine.