Disney ne sortira pas "Avalonia, l'étrange voyage" dans les salles de cinéma françaises.
Retour en graphiques sur les raisons derrière la non-sortie au cinéma de "Avalonia, l'étrange voyage".
La nouvelle a fait l’effet d’une bombe dans le secteur cinéma français : Disney ne sortira pas son prochain film d’animation “Avalonia, l’étrange voyage” dans les salles de ciné françaises à Noël, comme cela était prévu à l’origine. Il sortira directement sur Disney+ cet hiver à la place.
Le communiqué de Disney France est assez clair :
Avalonia, l'Étrange Voyage sera disponible pour tous les abonnés Disney+ en France, sans sortie cinématographique française. Alors que nous soutenons le cinéma français – et ce depuis des décennies – la nouvelle chronologie des médias est encombrante et anti-consommateur, ignorant comment le comportement a évolué au cours des dernières années et nous expose à un risque accru de piratage. Nous continuerons à prendre des décisions film par film et en fonction des conditions uniques de chaque marché.
Le coupable est donc tout trouvé, en plus du piratage : la chronologie des médias.
La nouvelle chronologie des médias.
Pour rappel, l’exploitation des films qui sortent au cinéma en France est régie par diverses fenêtres d’exploitation consécutives censées donner à chaque diffuseur son petit moment d’exclusivité et c’est ce qu’on appelle “La chronologie des médias”. Depuis début 2022, elle ressemble à ça :
C’est une usine à gaz pas possible, surtout dans la partie dédiée à la SVOD, qui est le noeud du problème. Grosso modo : quand Disney sort un film au ciné, il peut
sortir ensuite son film en VOD 4 mois après la sortie ciné,
puis le vendre à Canal qui le diffusera 6 mois après la sortie ciné,
en disposer sur Disney+ 17 mois après la sortie ciné mais seulement pour 5 mois d’exclusivité.
le proposer à des chaines gratuites qui en achètent les droits ou non pour le diffuser gratuitement entre le 22ème et le 36ème mois, tout en le gardant ou non sur Disney+
et le récupère ensuite à partir du 36ème mois sur Disney+, à nouveau en exclusivité.
Du point de vue de Disney France (qui est surtout le point de vue de Disney US), toutes les fenêtres de cet accord qu’ils n’ont pas signé sont anti-consommateurs. C’est aussi un système né de la coproduction à la française dans laquelle des chaines TV participent au financement des films français et attendent donc en retour une fenêtre d’exploitation exclusive. Mais pour les films US, cet argument tient moins bien et le seul qui reste est celui du “soutien aux salles de cinéma et au secteur audiovisuel français” et on a l’impression que cet argument a fait son temps.
Dans leur idée, pouvoir en disposer directement sur Disney+ quelques semaines après la sortie cinéma est ce qui est le mieux pour les consommateurs, alors qu’ils essaient de fidéliser au maximum leurs abonnés et d’en attirer de nouveaux. La seule façon de ne pas être concerné par la chronologie des médias est de ne pas sortir son film dans les cinémas. Dont acte pour Disney qui a décidé que ça serait le cas pour “Avalonia”, marchant dans les pas ainsi de Netflix, d’Apple et d’Amazon qui pratiquent déjà cela depuis très longtemps.
Le poids de la sortie cinéma pour Disney.
Quand la nouvelle chronologie des médias a été adoptée, les éléments qui crispent Disney aujourd’hui étaient déjà mis en avant comme étant spécifiquement ciblés contre Disney mais avec une croyance forte de la part du secteur ciné français : Disney prendra la pli car Disney n’osera jamais se priver des revenus de l’exploitation de ses films dans les salles de cinéma françaises. Et c’est effectivement le cas pour ses licences les plus rutilantes. “Lightyear” (de la licence “Toy Story”), “Thor 4” (du Marvel Cinematic Universe) et “Avatar 2” devraient normalement sortir dans les salles de cinéma françaises et faire plusieurs millions d’entrées. Mais en ce qui concerne des films non-issus de licences, Disney France (et surtout US) semble se poser davantage la question. “Soul”, “Turning Red”, “Luca”, et maintenant “Avalonia” pour la France sont sortis directement sur Disney+ dans le monde et en France.
Mais la question pour les autres films risquent de se poser rapidement. Et pour s’en convaincre, il faut regarder l’évolution des revenus de Disney, notamment de l’exploitation ciné, vidéo et de Disney+ au niveau mondial.
La sortie cinéma est un pari. Parfois, ça rapporte beaucoup. Souvent, ça rapporte moins. Et aussi, ça coûte cher. On le voit sur le graphique, le meilleur trimestre de Disney ces 5 dernières années est celui qui a vu pas moins de 5 films sortir dans les salles du monde entier, issus de ses licences. Ces sorties ont ensuite créé un rebond au niveau de l’exploitation vidéo/VOD etc. A noter d’ailleurs qu’il ne s’agit ici que des revenus, pas des bénéfices. Pour chaque film Disney, il faut compter des dizaines de millions de dollars de frais de promotion et en tous genres pour l’exploitation.
Depuis la pandémie, c’est forcément plus compliqué pour l’exploitation ciné et peut-être reviendrons-nous à des niveaux d’avant. Peut-être pas. Mais à côté de ça, pour Disney, on a surtout Disney+ qui, même s’il perd beaucoup d’argent à l’heure actuelle, en ramène aussi de façon conséquente et surtout de façon constante. Pas de mauvaise surprise ici. Chaque trimestre rapporte en ce moment autant qu’un très bon trimestre dans les salles cinéma. Et le premier trimestre 2022 de Disney+ a rapporté autant que les deux dernières années d’exploitation ciné (1,76 milliards de dollars contre 1,77 milliards de dollars), certes avec la pandémie. Et ça ne va aller qu’en augmentant à priori.
Disney est donc dans une dynamique, depuis deux ans, de choisir la meilleur sortie pour ses films au cas par cas et cela veut dire celle qui est la plus rentable. Créer l’évènement sur Disney+ pour garder/ramener des abonnés ou tenter le coup de la sortie en salles avec ses multiples incertitudes ? C’est déjà une question difficile à l’échelle mondiale mais si en plus on ajoute la chronologie des médias dans le mix français, la réponse est déjà un peu plus facile à trouver. D’autant plus que le marché français ciné, malgré ses millions d’entrées potentielles, représente une toute petite partie des revenus de Disney.
Disney France sait aussi être pragmatique sur la notion d’exclusivité. Il sort en VOD et au format physique ses films “exclusifs” à Disney+, des films qui ensuite trustent les premières places des films les plus loués/achetés donc le manque à gagner est encore moindre et se limite aux éventuelles recettes de la sortie ciné française par rapport aux gains de l’essor de Disney+ en France.
On se dirige finalement vers un certain futur de l’exploitation cinéma prophétisé par certains en France, à savoir la sortie en salles de films-évènements tirés de grandes licences (plus ou moins nombreux dans l’année) et des sorties directes en streaming de films hors-licences mais qui pourraient trouver leur public sur Disney+ et être quand même le point de départ de franchise.
Les audiences des films exclusifs sur Disney+
L’un des points avancés par la Fédération Nationale des Cinémas Français lors de l’annonce de Disney fut de dire que les spectateurs y perdaient au change, tout comme Disney. Peut-être en qualité de projection mais en ce qui concerne Disney, pas de crainte à avoir sur les chiffres de visionnage de leurs films d’animation exclusifs. Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder les chiffres Nielsen (aux US uniquement, TV uniquement, panel) pour s’apercevoir que les chiffres recueillis sont énormes. “Luca” avait engrangé l’équivalent de 73 millions de visionnages complets en 8 semaines (alors qu’aux US, Disney+ n’a qu’une quarantaine de millions d’abonnements payants) quand “Turning Red” en engrangeait 67,6 millions.
Les visionnages multiples des enfants sont sans doute la cause de ces chiffres mais force est de constater que cela montre aussi que ces films sont assez appréciés par le public abonné à Disney+ aux US pour être regardé en boucle et on peut imaginer que c’est aussi le cas partout dans le monde, France y compris. Il faut noter d’ailleurs que c’est beaucoup moins le cas pour les films live-action de Disney+ qui peinent à s’imposer (environ 2,5M d’EVC en 1ère semaine, puis 4M etc.).
Si on prend toutes ces raisons, il n’est donc finalement pas étonnant de voir Disney utiliser “Avalonia” pour faire d’une pierre plusieurs coups :
mettre la pression sur le secteur français pour changer une chronologie des médias qui ne lui est pas favorable à dessein,
garantir un film nouveau pour garder/amener des abonnés français de Disney+ en fin d’année alors que Disney a mis un objectif d’abonnés à atteindre en 2024 qu’il se doit d’atteindre coûte que coûte.
s’éviter le pari d’une sortie ciné qui peut être coûteuse et donc pas forcément payant pour un film d’animation hors de toute licence prestigieuse.
Cela n’en demeure pas moins un coup de bluff, aussi, de la part de Disney France. Les arguments avancés pour motiver cette sortie directe sur Disney+ (le fait de devoir s’en priver pendant des mois sur Disney+, de devoir partager les films avec les chaines TV gratuites, le piratage etc) s’appliquent encore plus à des films très attendus comme “Avatar 2” et “Thor 4" mais Disney France n’est pas encore prêt à sauter le pas pour ces films-là. Pas folle, la souris.
Le plus dangereux dans tout ça pour le secteur français est que ça créé un précédent dans lequel iront s’engouffrer Warner Bros Discovery et Paramount dans les mois qui viennent, alors qu’ils lancent leurs services HBO Max et Paramount+ en France. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, attention à ne pas croire ici aussi qu’une sortie cinéma en France est un passage obligé pour ces majors US… La question se posera inévitablement pour eux aussi.
Bon début de semaine !