“Dealer”, “Les dissociés”… : analyse des sorties directes en VOD de deux films français.
Auto-produit pour 165 000€, le film français “Dealer” est sorti directement en VOD début octobre 2015. Fin novembre, c’est au tour de “Les…
Auto-produit pour 165 000€, le film français “Dealer” est sorti directement en VOD début octobre 2015. Fin novembre, c’est au tour de “Les dissociés”, produit pour 150 000€, de sortir directement et gratuitement sur Youtube. Deux initiatives qui préfigurent peut-être d’une nouvelle façon de faire des films en France, à condition de réussir à mobiliser le public.
Hasard du calendrier, deux films français ont donc tenté l’aventure de la sortie directe en VOD en cette fin d’année 2015 et c’est la seule similitude tant ces deux films sont opposés à tous les niveaux, que ce soit dans le processus de production que celui de communication ou de monétisation.
Deux budgets quasi-identiques, deux stratégies opposées.
De budget sensiblement identique, “Dealer” et “Les dissociés” n’ont pourtant pas le même montage financier. “Dealer” a été en partie auto-produit par Dan Bronchison, par ailleurs acteur principal, qui s’est endetté personnellement pour réaliser ce film qui lui tenait à cœur. “Les dissociés”, produit par par Golden Moustache, network de talents Youtube possédé par M6, a lui pu compter sur l’implication d’une demi-douzaine de marques qui ont acheté une visibilité et ainsi permettre le financement de 80% du budget de production. Grâce à cette visibilité achetée par les marques, le film est donc déjà “remboursé” à 80% tandis que le reste devrait être comblé par les recettes publicitaires des visionnages sur Youtube et un passage sur W9. “Dealer”, lui, ne peut compter actuellement que sur des locations/ventes propres en VOD et sur les diverses ventes de droits dans une dizaine de pays étrangers (dont en SVOD sur Netflix France à partir du 1er décembre) pour espérer rentrer un jour dans ses frais, ayant préféré une sortie directe en VOD en France plutôt qu’une sortie ciné.
On a bien vu la frilosité des distributeurs français. Certains étaient intéressés mais c’était pour des sorties ciné, pas techniques, mais limitées à 15/20 copies. C’est vrai que Dan a quand même mis pas mal d’argent sur la table pour que le film se fasse, c’était quand même un gros risque financier. On a vendu le film dans huit pays au total, la Scandinavie, l’Allemagne, la Suisse, la Grèce, le Turquie et aux États-Unis. Et en France, on n’avait pas vraiment de propositions. Alexis Perrin
Faire le buzz, jouer sur les communautés existantes.
L’équipe de “Dealer” l’avoue sans détour dans cette interview, “au niveau de la com, on l’a joué en mode provoc’. Le film est comme ça, faut l’assumer.” Le but : casser l’image de Paris et en faire le terrain de jeu des dealers de tous poils dans un film avec une vraie patte graphique, malgré l’absence de stars connues au casting.
Un tactique du buzz à tout prix à double tranchant puisque si elle créé une attente ou une curiosité, elle doit aussi tenir compte du mode de distribution du film mais j’y reviens plus bas.
“Les dissociés” lui a fait le choix d’Internet pour sa distribution mais aussi pour sa communication en tablant sur les figures de proue de son network de stars Youtube dont les fans francophones se comptent en millions, comme Raphaël Descraques et Vincent Tirel mais aussi de célébrités comme Baptiste Lecaplain ou Kyan Khojandi. La sortie du film sur Youtube fut précédée de multiples avants-premières (payantes) en France dans des salles de ciné pour fédérer la communauté en amont.
“Les dissociés” est une sortie hybride donc, payante au ciné en avant-première puis gratuite sur Internet, basée sur une idée du “freemium” qui n’est pas éloignée de celle utilisée par le jeu vidéo PC et mobile. Le produit est gratuit mais si les fans veulent débourser quelques euros pour une utilisation de meilleure qualité, ils le peuvent au travers de ces avants-premières. C’est une stratégie nouvelle pour un film qui fonctionne ici avec “Les dissociés” grâce à la puissance de la communauté créée au fil des années. Une communauté dont ne dispose pas “Dealer” et sur laquelle il ne peut donc pas s’appuyer.
Sortir un film sur Internet, une stratégie à double tranchant.
On l’a vu, “Les dissociés” a pensé sa sortie directe en VOD de main de maître : un financement venu de plusieurs sources (placement de produit, financement propre minimum, publicités Youtube, avants-premières payantes, diffusion télé), une communauté bien installée et mobilisée au travers des réseaux sociaux pour au final un film gratuit pour tous.
Le résultat sont parlants : des avants-premières pleines et bientôt 1,5 millions de visionnages sur Youtube en 4 jours, ce qui fait dire — maladroitement — à certains articles que le film fait mieux que certains blockbusters au cinéma. Le film n’aurait sans doute pas eu autant de succès avec une sortie ciné mais toute sa réussite est justement d’avoir choisi le bon medium pour toucher un large public. Par contre, on peut sans doute dire que “Les dissociés” sera l’un des films français de 2015 les plus vus par les 12–25 ans (sans chiffres certifiés certes).
Du côté de “Dealer” par contre, ce n’est pas vraiment la fête. Après une sortie exclusive sur Vimeo on Demand début octobre à 4,99€ la location et 11,99€ l’achat en téléchargement définitif, le film est ensuite sorti sur plusieurs autres plates-formes début novembre (GooglePlay, iTunes, MyTF1VOD etc.). Hélas, le piratage a fait son œuvre et peu après sa sortie sur Vimeo, le film fut partagé sur les diverses plates-formes de streaming et torrents.
Encore une fois, quelques raccourcis sont énoncés sous le coup de l’émotion puisque rien ne dit que 100 000 téléchargements équivalent à 100 000 actes de location manquées mais dans tous les cas, “Dealer” s’est en effet pris le principal écueil d’une sortie directe en VOD sur Internet en pleine face, une situation d’autant plus dramatique que le financement du film est bien moins “neutre” de celui des “Dissociés” par exemple, comme le rappelle le message Facebook ci-dessus. On peut imaginer que le buzz recherché lors de la sortie du film s’est retourné contre lui. Buzz + disponibilité pirate font rarement bon ménage et c’est bien souvent l’exploitation payante qui en pâtit. Sans communication autour des chiffres de locations, impossible de savoir si “Dealer” parvient depuis à se vendre et à rentrer dans ses frais mais voici quelques petites choses qu’à mon avis “Dealer” (et “Les dissociés” dans une moindre mesure) aurait pu mieux faire.
Conseils d’un acheteur de films en VOD aux aventuriers des sorties directes.
1/ 4,99€ la location, 12€ l’achat définitif, c’est non. Ce sont les prix habituels de la VOD en France depuis des années mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il faille se caler dessus lors de l’élaboration de ces projections financières. Payer 12€ pour un achat définitif dématérialisé, même les films connus ont du mal à le faire donc si ton film est un film sans casting connu, c’est d’autant plus compliqué sans aucune communauté établie autour. Par ailleurs, si ton film sort en VOD sur Internet, il ne suffit que d’une location à 4,99€ pour que ton film soit piraté. Donc autant mettre le film directement en vente à 4,99€ en achat définitif. Le spectateur aura en plus l’impression d’en avoir pour son argent.
2/ Pensez comme un fan. “Les dissociés” y a pensé avec ses avants-premières payantes mais il manque une étape dans sa commercialisation, après la sortie gratuite du film sur Youtube. Cette étape, dont ne dispose pas non plus “Dealer”, est celle de l’édition VOD Premium (et payante donc) sur Internet. C’est une idée à lier à celle du freemium dans laquelle le film peut être gratuit mais si les fans veulent débourser quelques euros pour une édition premium, ils le peuvent. Or pour les deux films étudiés ici, aucun des deux ne propose une telle édition premium. Par édition premium, j’entends la possibilité d’acheter le film en VOD mais avec des bonus : téléchargement du film sans limites en plusieurs versions (Mobile, SD, HD par exemple), interviews bonus, making-of, scénario à télécharger, bande-originale du film, fonds d’écrans, etc. Les possibilités sont infinies et cela donne une valeur ajoutée au film de base. Je pense notamment à “Dealer” et ses milliers de téléchargements pirates. Si un de ces pirates a vu et aimé le film, il ne peut faire que deux choses : louer ou acheter le film pour 5€/12€ alors qu’il l’a déjà vu gratos, ce qui a peu de chances de se produire. Or si on lui propose une version premium avec plein de goodies à un prix raisonnable (7-8€), il peut se laisser tenter pour continuer l’expérience et se “racheter”. Il faut en tous cas laisser la possibilité à ceux qui ont aimé le film de donner plus pour continuer à en découvrir l’univers, plutôt que de compter sur “ils ont loué le film pour 5€ et s’ils aiment, ils achèteront l’exact même produit pour 12€”. On en revient au prix le plus juste selon moi pour une sortie directe en VOD : 4,99€ pour un achat définitif, 7,99€ pour une édition premium (achat définitif + bonus) et 3,99€ pour les bonus seuls (oui, ça peut se vendre aussi). Retenez ceci : votre film sera piraté. Forcément. A un moment ou à un autre. Donc autant prendre soin de ceux qui sont prêts à payer pour votre film, et ce, même si votre film est disponible gratuitement sur Youtube.
3/ Pensez aux fans : Penser aux fans, c’est certes compter sur eux lors de la commercialisation du film, mais c’est avant tout leur permettre de suivre tout le processus de création du film, par la création d’une newsletter toute simple que vous relayez auprès de vos amis, les amis de vos amis, les fans de la première heure etc. Racontez-leur comment se créé votre film, comment vous galérez à tourner telle scène et pourquoi. Lâchez-vous, utilisez ce biais comme d’une catharsis qui permettra à votre communauté grandissante de se mettre à votre place, de comprendre vos préoccupations. Ils deviendront ensuite vos meilleurs ambassadeurs et pré-commanderont peut-être votre film avant même qu’il soit disponible. Bref, racontez-leur votre histoire. Mais cela se fait bien en amont et pas seulement un mois avant la sortie du film avec des visuels choc pour faire le buzz. Le net est une jungle pour les films, essayez donc de créer un lien personnel entre vous et votre communauté, d’autant plus que cela sera transférable sur vos autres projets.
Une sortie directe en VOD d’un film français sur Internet n’est pas chose facile. C’est même sans doute l’une des distributions les plus complexes. Savoir doser entre le buzz de la sortie et la création d’une communauté sur le long terme, savoir s’affranchir des formats déjà existants pour proposer quelque chose de neuf dans lequel les équipes des films et les spectateurs s’y retrouvent… Parfois, cela marche comme pour “Les dissociés” qui a su s’affranchir de certaines contraintes financières pour sortir gratuitement. Parfois, c’est plus compliqué, comme pour “Dealer” touché par le piratage. Sur Internet, votre film est de toutes façons déjà gratuit quelque part. De plein gré ou contre votre gré. Que pouvez-vous faire contre ça ? Penser comme un fan. Et espérer que ça marche.
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