C'est quoi une "vue" ?
Toutes les "vues" ne sont pas égales et ça commence à devenir un problème.
C’est le terme en vogue dans le streaming vidéo, celui de “vues”. Netflix l’utilise. Youtube l’utilise. Les replays de chaines TV l’utilisent aussi. Mais est-ce que toutes les vues naissent égales ? Petit passage en revue des méthodologies utilisées pour définir ce qu’est une “vue”.
X (the service formerly known as Twitter)
Sur X, j’ai vu passer ce tweet il y a quelques jours au sujet de la vidéo parodique de Malik Bentalha sur CNews (très drôle d’ailleurs, je vous recommande).
5 millions de vues, c’est énorme ! Ce serait la preuve que c’est ce que veulent les gens. Pas tout à fait, ralentissons un peu. Sur X, il y a deux mesures de décomptes des vues. La première est à destination de celui qui poste la vidéo et elle est définie de la façon suivante, à savoir 1 vue = 2 secondes minimum.
Mais ce chiffre n’est pas public. Ce qui est public, c’est le nombre d’impressions, qui est aussi appelé “vues”. Et là, la définition d’une vue change aussi puisqu’il s’agit du nombre de fois qu’un tweet est “vu” par une personne, soit directement ou bien par le biais de retweets sans forcément avoir lancé la vidéo.
Sur X, Malik Bentalha a 1,8 millions d’abonnés donc il part déjà d’une base potentielle de 1,8 millions de “vues” pour ses tweets. Si vous ajoutez les 24 000 retweets (à l’heure de l’écriture de cet article), les 5 millions de “vues” (ou d’impressions) de ce tweet sont complètement logiques. Est-ce que cela veut dire que la vidéo a été regardée par 5 millions de gens ou même 5 millions de fois ? Sans doute pas non mais elle a été affichée 5 millions de fois dans les flux Twitter d’un nombre indéfini de membres de Twitter.
Instagram et TikTok
Sur Instagram, des vidéos sont vues des millions de fois et là, la méthodologie est plutôt claire : 1 vue = 3 secondes minimum sur une vidéo, mais les vidéos vues en boucle ne comptent pas (sans doute pour éviter les abus).
Sur Tiktok, c’est encore plus simple : 1 clic sur une vidéo, que tu restes 1 seconde ou 1 minutes = 1 vue. Simple, net mais pas forcément représentatif non plus.
Les services de streaming des chaines TV.
Le terme de “vues” ou de “visionnages” est aussi utilisé par les chaines TV pour parler des performances de leurs programmes en replay ou en délinéaire sur leurs plateformes vidéo. En 2021, Arte avait notamment communiqué sur les 35 millions de vues de la série “En thérapie”.
Après avoir demandé la méthodologie (qui n’est jamais vraiment affichée de façon pro-active dirons-nous), il s’agit d’une mesure de Médiamétrie appelée eStat dont la méthodologie est la suivante :
Donc 10 secondes minimum sur une vidéo = 1 visionnage. Or, la saison 1 de “En thérapie” avait 35 épisodes (qui s’enchainaient automatiquement via l’autoplay). Donc c’est plus facile d’atteindre 35 millions de vues quand tu as 35 épisodes de 21-30 minutes que si tu en as 6 de 50 minutes.
6 épisodes de 52 minutes, c’est justement le nombre d’épisodes de “Sambre” sur France TV, qui en est à 3 millions de vues au 22 novembre (et forcément plus maintenant).
La méthodologie ici employée est peut-être la mesure eStat de Mediamétrie aussi, mais sans certitudes. Il manque clairement une mention en bas des images promo pour contextualiser ces chiffres balancés comme ça.
Le même jour que France TV (sans doute une coïncidence) (non), le groupe Canal+ annonçait 10 millions de visionnages pour la première partie de “D’argent et de sang” qui comporte 6 épisodes aussi.
On pourrait se dire “Wow, la série de Canal+ dame le pion à celle de France TV” mais comme toujours, si la méthodologie est importante, l’échelle d’observation l’est tout autant. Les 3 millions de “Sambre” sont atteints en 9 jours tandis que les 10 millions de “D’argent et de sang” le sont en 40 jours environ. Pour Canal+ et malgré mes nooooombreuses demandes et tentatives, il n’y a aucune méthodologie claire et publique sur l’obtention de ce chiffre. C’est peut-être eStat de Médiamétrie, c’est peut-être autre chose spécifique à Canal+, impossible à savoir. De la fausse transparence donc ici aussi, purement à des fins de communication.
D’un point de vue personnel, j’estime qu’il faudrait que le nombre d’épisodes soit au moins pris en compte dans ces chiffres, avec un nombre moyen de vues par épisode sur la base de toutes les vues telles que ces services les comptent. Cela me paraitrait au moins plus facile à comparer que “35 millions” d’un côté, “10 millions” de l’autre sur des surfaces d’épisodes complètement différentes. Donc pour Arte et “En thérapie”, j’aurais plutôt dit “1 million de vues en moyenne par épisode” et pour Canal “1,6 millions de vues en moyenne par épisode”. Voilà, là au moins c’est comparable. Mais c’est sûr, c’est bien moins vendeur que ce qu’ils communiquent.
Youtube
Sachez-le, ma vidéo de présentation de la version beta de Salto-petit-ange-parti-trop-tôt en est à 1 100 vues sur Youtube en 3 ans, un chiffre public et affiché sous toutes les vidéos du service. Pour Youtube, 1 vue = 1 visionnage motivé de 30 secondes minimum. Donc cela ne veut pas dire que 1100 personnes ont regardé cette magnifique vidéo de 15 minutes jusqu’au bout, bien au contraire. Seulement que les personnes responsables des 1100 clics sur la vidéo sont restées au moins 30 secondes.
En tant que créateur de la vidéo, j’ai accès à plein d’autres chiffres, comme le nombre d’heures vues totales de cette vidéo, à savoir 61,6h.
Si je devais appliquer ma mesure en EVCs à ma propre vidéo, cela ferait 264 EVCs (pour 1100 vues affichées) en 3 ans. Youtube va même plus loin et me fournit un aperçu de la rétention du public sur la durée de cette vidéo.
Ainsi, seuls 13% des personnes ayant commencé ma vidéo sont allées jusqu’au bout. Une courbe plus ou moins normale pour n’importe quel contenu vidéo sur n’importe quel service avec un nombre de lancements plus important que le nombre de gens qui finissent.
Je vois aussi que 1200 personnes ont lancé ma vidéo, alors que 1100 vues uniquement sont affichées. L’écart vient des personnes n’étant pas restées plus des 30 secondes.
Netflix et Disney+
On arrive maintenant aux services de streaming, comme Netflix et Disney+ qui ont adopté eux aussi le terme de “vues” mais avec une méthodologie qui tranche complètement avec le reste. Cette méthodologie, vous la connaissez parce que vous êtes abonnés à cette newsletter et que c’est celle que j’utilise depuis plus d’un an. Il s’agit de prendre tout le temps de visionnages d’un titre et de le diviser par la durée du titre en question. 1 vue n’est donc pas 1 clic ou 1 visionnage ayant durée au moins 10 ou 30 secondes mais bien 1 équivalent d’un visionnage complet du titre du début à la fin, addition de visionnages ayant duré 1h ou 2 minutes, peu importe.
Prenons l’exemple de “Nouveaux riches” sorti il y a dix jours sur Netflix et qui a été regardé 4,7 millions d’heures sur ses 3 premiers jours, soit l’équivalent de 2,7 millions de visionnages complets. 2,7 millions, c’est le nombre de visionnages minimum du film sur ses 3 premiers jours, si tous les gens qui l’avaient lancé l’avaient terminé. Or, ce n’est bien évidemment pas le cas. Si vous estimez que 90% des gens n’ont pas regardé le générique de fin, vous pouvez augmenter ce chiffre. Le nombre de comptes abonnés à Netflix ayant lancé le film est forcément supérieur à ce chiffre de 2,7 millions de “vues”. Si on était taquin, on pourrait même envisager que 1,7 milliard (pas millions, milliards) de profils Netflix ont lancé le film pour tous l’arrêter au bout de 10 secondes. Cela ferait toujours un équivalent de visionnages complets de 2,7 millions et c’est une échelle de grandeur que j’aurais pu choisir pour étudier les chiffres Netflix plutôt que les équivalents de visionnages complets. La réalité du nombre de visionnages “effectifs” est entre les deux, dans ces chiffres non communiqués par Netflix et qui sont de toutes façons assez difficiles à définir.
Quelle mesure choisir pour définir une vue dans ce cas ?
J’en ai aucune idée mais ce n’est pas non plus mon boulot. Pour l’instant, il y a autant de réponses que de services vidéo et ça n’aide pas forcément à y voir plus clair dans ce qui est déjà une eau assez trouble. Chaque protagoniste dans le terrain de la vidéo veut forcément se montrer sous son meilleur jour et la transparence n’est pas toujours de mise, comme vous avez pu le constater. Forcément, j’ai tendance à penser que l’EVC est la plus utile et la plus comparable entre des services différents mais comme je le dis aussi en préambule de chaque analyse des chiffres Netflix, je ne la considère pas non plus comme “1 vue”.
A mon sens, la mesure la plus utile à fournir à des talents, si j’étais Netflix, serait celle des starters (à savoir le nombre de clics, pas de comptes, sur la vignette, pour avoir une idée du reach de mon programme) mais aussi celle des completers (à savoir le pourcentage de ceux qui sont allés jusqu’au début du générique de fin), cette dernière étant plutôt à mon sens une vraie “vue”.
Sachez que sur Substack, que vous ayez lu jusqu’ici ou que vous arrêtiez à la première ligne, vous êtes compté comme “1 vue”. On se retrouve mercredi pour l’analyse des chiffres Netflix !