Avec “Maker”, Canalplay transforme du contenu vidéo gratuit en contenu vidéo payant.
Alors que la bataille des chiffres (abonnés, films, séries…) ne faiblit pas entre Netflix et Canalplay en France, celle sur le contenu…
Alors que la bataille des chiffres (abonnés, films, séries…) ne faiblit pas entre Netflix et Canalplay en France, celle sur le contenu continue de prendre des directions diamétralement opposées. Dans un précédent article, je suis revenu sur la stratégie de Netflix d‘ajouter de nombreux films et documentaires inédits à son catalogue pour contourner la chronologie des médias. Dans cet article, focus sur une stratégie de son concurrent direct, Canalplay, et sa catégorie “Maker” lancée fin octobre 2015.
Lors de l’annonce du deal entre Canalplay et Maker Studios le 15 avril 2015, les éléments de langage fusaient : “accord avec Disney France”, “offre disponible sans engagement et sans augmentation de prix”, “la première plateforme de SVOD en France à proposer les créations de Maker”, “2000 vidéos de vlogueurs célèbres qui s’enrichira de 200 vidéos par mois”… Bref, c’était apparemment un évènement digne d’être marqué d’une pierre blanche pour le développement du secteur de la SVOD en France. 6 mois et demi plus tard, la réalité est un peu moins rose. [NDLA du 24 février 2017 : Et 16 mois plus tard, cela l’est encore moins puisque les contenus Maker ont tout simplement disparu de Canalplay.]
Entre Maker et Canal +, c’est tout d’abord une petite histoire partagée. Le groupe français était entré au capital de Maker en août 2013 (en prenant 3% seulement) avant de revendre sa part début 2014 à Disney qui désirait posséder 100% du réseau de chaines Youtube parmi les plus importants au monde. Les ponts n’ont vraisemblablement pas été coupé entre les deux entités ce qui a abouti un an plus tard au deal du 15 avril 2015. 30 octobre 2015. “Maker” fait son entrée sur Canalplay et obtient sa partie réservée dans l’onglet “Divertissement”, entre la musique classique, les pièces de théâtre et les documentaires. On y retrouve des playlists de vidéos par thématiques et par vlogueurs célèbres apparemment (sauf que je n’en connais aucun donc je ne dois pas être la cible).
Lifestyle, gaming, famille, divertissement, streetwear, voilà un catalogue aux multiples thématiques qui peuvent tout à fait avoir leur place sur une plate-forme de SVOD à une exception près, qui peut être dommageable quand il s’agit de vendre un tel produit auprès de futurs abonnés : toutes ces vidéos sont disponibles légalement et gratuitement sur Youtube directement sur les chaines des artistes mentionnés dans la partie “Maker”.
Exemple, avec cette vidéo d’Anthony Fantano, qui parle du nouvel album de Julian Casablancas et du groupe The Voidz intégrée dans “Maker Music”.
Sans être abonné à Canalplay, impossible de la voir sur Canalplay. Sauf que si je me rends directement sur la chaine Youtube du critique en question, la vidéo est bien visible, gratuitement et légalement.
Et c’est ainsi pour chacune des autres vidéos qui figurent dans cette partie “Maker”. Ceci n’est pas une surprise puisque Maker étant un réseau de chaines Youtube rassemblant de nombreux créateurs, il paraissait normal que les contenus qu’il mettrait à disposition de Canalplay seraient des contenus déjà publiés sur Youtube et donc accessibles légalement et gratuitement dessus. On pouvait craindre des vidéos par la suite géobloquées en France sur Youtube pour garantir une certaine exclusivité à Canalplay mais ce n’est pas le cas à l’heure actuelle et pour cause : cela aurait sans doute fâché les fans français non-abonnés à Canalplay de ces Youtubers. Vendre ses contenus, oui, mais fâcher une part de sa communauté, c’est non pour les Youtubers.
L’élément de langage vantant “Canalplay (comme) étant la seule plate-forme de SVOD en France proposant les créations de Maker” est donc vrai mais c’est oublier de préciser que lesdites vidéos sont disponibles gratuitement sur Youtube, une plate-forme de VOD bien plus fréquentée que Canalplay (s’il fallait le mentionner). On comprend ainsi mieux pourquoi une telle nouveauté de catalogue se fait “sans engagement et sans augmentation de prix pour les abonnés”. On peut en effet imaginer que les abonnés existants n’auraient pas franchement apprécié de voir leur abonnement augmenter parce que Canalplay ajoute des vidéos gratuites tirées de chaines Youtube. Dans les faits, le service français de SVOD transforme malgré tout du contenu gratuit en contenu payant et tente de faire passer ça pour une innovation de catalogue. Un sacré exercice d’équilibriste.
De contenu gratuit à contenu payant.
Quelques facteurs peuvent pourtant légitimer ce passage de contenu gratuit à contenu payant. Le premier est que les vidéos en question, qui proviennent quasiment toutes de vlogueurs américains, sont sous-titrées en français sur Canalplay alors que ce n’est pas le cas sur Youtube. C’est le seul avantage concurrentiel des vidéos Maker sur Canalplay par rapport aux mêmes vidéos sur Youtube mais c’est un argument qui peut séduire un public français pas forcément anglophone.
Le second facteur est que cet ajout est en accord avec la ligne que s’est fixée Canalplay pour se démarquer de Netflix et ses séries originales : des contenus plus courts (quelques minutes en général pour les contenus Maker donc téléchargeables via l’option “hors-ligne” de Canalplay) et moins chers (une websérie coûtera moins cher à ajouter qu’une série télé), mais en grande quantité (pour pouvoir rester dans la course dans la bataille du chiffre avec Netflix. 2000 nouvelles vidéos, même tirées de Youtube, même durant 2-10 minutes, ça peut faire pencher la balance dans la lutte pour les nouveaux abonnés).
Pour l’instant en ce qui me concerne, difficile de voir en cette initiative autre chose qu’une méthode simple de grossir quantitativement le catalogue de Canalplay à l’heure où celui-ci se prend la concurrence frontale de Netflix sur les films et les séries TV (et que ça commence à se voir dans les chiffres).
La problématique des vidéos Maker est la même que pour les webséries déjà arrivées et qui arriveront sur Canalplay dans les mois qui viennent : comment reprocher à Netflix son catalogue et applaudir celui de Canalplay si celui-ci est composé en partie de très courtes vidéos de Youtubers disponibles par ailleurs gratuitement et légalement ? Comment cette “innovation” de catalogue peut-elle provoquer de nouveaux abonnements ou bien même garder ceux qui hésitaient à partir chez Netflix ?
Pour Maker par contre, ce partenariat peut amener un nouveau public vers ses talents du web. Mais comme rien n’est jamais simple, si ce public veut en découvrir plus que la maigre sélection de vidéos proposée pour l’instant sur Canalplay (11 vidéos par exemple pour “The Platform” quand sa chaine Youtube en compte des centaines), il devra filer sur Youtube pour découvrir le reste. En effet, les vlogueurs mis à l’honneur sur Canalplay ne sont pas présents sur Dailymotion pour une très grande majorité. Un peu dommage à un moment où Canal +, par l’intermédiaire de Canal OTT, fait tout pour promouvoir Dailymotion, concurrent principal de Youtube racheté cet été par Vivendi, maison-mère de Canal+ et donc de Canalplay. Au temps pour la convergence.
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